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TÉMOIGNAGE: ““J’ai réussi à m’échapper de Daesh””

La rédaction

Sa naïveté lui a fait croire que rejoindre Daesh effacerait son mal-être et qu’elle pourrait se rendre utile. C’était bien avant les attentats de Paris, Bruxelles, Nice. Laura Passoni a réussi à s’échapper de l’enfer et témoigne aujourd’hui à visage découvert pour présenter son livre.


Dans “Au coeur de Daesh avec mon fils”, disponible aux Editions La Boîte à Pandore, Laura Passoni, parle de la naïveté qui l’a poussée à partir en Syrie. Elle y raconte l’enfer qu’elle a vécu, la peur sous les bombardements, son impuissance face aux hommes de Daesh. Elle y retrace son évasion, où elle a risqué sa vie, celle de son fils et de l’enfant qu’elle portait alors. Jusqu’à son arrestation à son arrivée à l’aéroport de Charleroi, et de sa peine de 3 ans avec sursis, pour “participation aux activités d’un groupe terroriste”.

Un contexte particulier


“Je sais que beaucoup de gens ont du mal à comprendre comment j’ai pu partir en Syrie pour rejoindre Daesh. Comment j’ai pu entraîner mon fils de 4 ans. Je ne me place pas en victime: j’ai voulu y aller, personne ne m’a mis un pistolet sur la tête.  Mais j’étais faible à ce moment-là, et mon recruteur a joué sur mes faiblesses. Il faut aussi resituer le contexte. Je suis partie en 2014. C’était avant les attentats, avant l’établissement du califat, avant l’égorgement des otages occidentaux… Charlie hebdo, Paris, Bruxelles, Nice… tout ça n’avait pas encore eu lieu.”

 

Une cause juste


“Je le reconnais, j’aurais dû me renseigner. Mais je ne m’intéressais pas beaucoup à l’actualité à cette époque. Et puis, on en parlait encore assez peu dans les médias.

Je savais qu’il y avait des combats en Syrie, mais ça me semblait une cause juste de combattre Bachar el-Assad. C’est ce que me disait mon recruteur. Qu’il fallait partir pour aider le peuple syrien. Pour moi, ceux qui partaient étaient des héros à ce moment-là.


Maintenant, les gens qui partent, ils savent où ils vont. Ceux-là sont tout à fait différents de ceux qui, comme moi, sont partis en 2013 ou 2014, où les recruteurs jouaient sur le fait que la Syrie avait besoin d’aide humanitaire. Aujourd’hui, le discours a changé, mais ceux qui voudraient aller en Syrie sont aussi manipulés. C’est pour eux que j’ai écrit ce livre et que je fais de la prévention dans les écoles. Car personne n’est à l’abri d’un recruteur ou d’une manipulation.”

 

Enormément de culpabilité


“Le message de mon livre n’est pas du tout de dire aux gens: ‘Ayez peur de l’Islam et des musulmans’. Mon message, c’est ‘Ne croyez pas ce que dit Daesh et ne commettez pas d’attentat’. Car dans l’Islam, on ne dit nulle part qu’il faut tuer des innocents. Seul Dieu peut ôter la vie.

C’est vrai que je suis partie et que j’ai emmené mon fils dans cet enfer, je m’en veux énormément. Ce livre, je l’ai aussi écrit pour mes enfants. Pour que plus tard, ils comprennent l’histoire de leur maman, car ils auront des questions.


Moi, c’est quand j’étais là-bas que j’ai ouvert les yeux. Et c’est pour eux que j’ai voulu fuir.”

 

Dans quelle galère je nous ai mis?


“Le jour-même où j’ai posé les pieds en Syrie, j’ai voulu rentrer en Belgique. J’avais été bernée par les vidéos de propagande de l’État islamique, dans lesquelles les gens vivaient heureux, où les enfants pouvaient aller à l’école… Moi, je l’ai vécu de l’intérieur, et j’ai vu que ce n’était pas ça du tout. C’est comme si j’avais eu un voile devant les yeux et qu’une fois arrivée là-bas, je l’avais soulevé. Je me suis dit: “mais où suis-je? Comment je vais faire pour m’enfuir de cet endroit?”.

Avant de partir, je pensais naïvement que, comme on était des femmes de Daesh, on serait dans une ville sécurisée, qu’on ne serait pas bombardés, qu’on ne verrait pas toutes ces barbaries sur la place publique.


Quand je suis arrivée et qu’en lieu et place d’une belle maison, d’un poste d’infirmière et d’une école pour mon fils, on nous a enfermés lui et moi dans une mafada, une maison de femmes, où je ne pouvais plus aller et venir librement… Je suis tombée des nues!”

 

Repartir à zéro


“J’étais partie à la fois pour aider les autres et pour moi. Le recruteur m’avait promis que je serais infirmière et que j’aiderais le peuple syrien. Je voulais me rendre utile dans un pays qui avait besoin de moi. Au début, j’ai hésité à emmener mon garçon avec moi, je me demandais si ce n’était pas mieux qu’il reste avec mes parents. Mais mon recruteur insistait pour que je le prenne, en me disant qu’il recevrait une bonne éducation sur place et que si je partais sans lui, il me manquerait. Il savait très bien que s’il me manquait, je voudrais revenir très vite en Belgique.

Il me disait: “c’est moi ta famille, tu peux avoir confiance en moi. Tes parents, eux, ne comprennent pas”. Il m’a fait me replier sur moi-même, rejeter ma propre famille.


Je lui faisais confiance, je lui déballais toute ma vie, je pouvais l’appeler à n’importe quelle heure. Par contre, après mon retour, je me suis rendu compte de l’amour de mes parents pour moi et mon fils. Quand j’ai vu toutes les démarches qu’ils avaient entreprises pour nous faire sortir de là, j’ai réalisé à quel point ils m’aimaient.”

 

Déradicalisation spontanée


“Quand je suis rentrée, les premiers mois ont été durs. J’étais restée neuf mois enfermée, à devoir suivre des règles très strictes. C’est peut-être difficile à croire, mais quand on reprend une vie normale du jour au lendemain, c’est très dur. J’étais déboussolée. J’étais perturbée, car lorsqu’on a des règles à respecter, ça permet de ne pas se poser de questions. Donc à mon retour, j’avais un ‘manque’. Mais ce n’était pas l’État islamique qui me manquait, non, c’était ces règles qui étaient parvenues à combler un vide. Mais aujourd’hui, il n’y a plus aucun doute: jamais je ne veux retourner là-bas.

Je suis toujours musulmane, car c’est une religion dans laquelle je me sens bien, mais je crois en un islam très apaisé, où tout le monde peut vivre ensemble.


C’est Daesh lui-même qui m’a déradicalisée, par les comportements de ses combattants. Moi, je ne ressentais pas cette haine que les autres pouvaient avoir, je n’avais pas du tout envie, comme eux, de tout faire exploser, de tuer, de mourir. Pas du tout!

Pour le moment, je me concentre sur la prévention dans les écoles, mais je ne ferai pas ça toute ma vie.

Je veux reprendre une vie normale, m’occuper de mes enfants, trouver du travail, j’aimerais être aide familiale. Aider… toujours.”


 

Interview: Stéphanie Ciardiello. Photo: Jean Van Cleemput.


 

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