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TÉMOIGNAGES: en surpoids, elles racontent la grossophobie du corps médical

La rédaction

3 lectrices en surpoids nous racontent leur expérience choquante chez le médecin.

« Les personnes en surpoids sont en mauvaise santé. » Cette croyance populaire, des plus tenaces, influence encore trop souvent le diagnostic des médecins et autres professionnels de la santé. Parfois même jusqu’à ignorer ou minimiser des problèmes graves, jugés comme étant les conséquences de l’obésité, sans chercher plus loin. Trois lectrices nous ont livré leur histoire.

On a dit à Anne, 22 ans, que sa fatigue passerait en faisant régime, jusqu’à ce que, bien plus tard, on lui diagnostique une hypothyroïdie.

« J’ai été en surpoids toute ma vie. Quand j’étais à l’école primaire, j’ai entamé mon premier régime. Chaque fois que ma mère essayait quelque chose de nouveau – Weight Watchers, Herbalife, un coach… – elle m’incitait à me joindre à elle. Je n’avais pas du tout confiance en moi, en mon apparence physique et, à l’adolescence, je croyais que je devais perdre du poids. À chaque visite ­médicale, on me ­répétait que je ­pesais trop pour mon âge, sûrement parce que je mangeais trop de sucreries etc. Ce qui était ­assez fou, car je ne mangeais quasi pas de friandises à l’époque. Je suis d’ailleurs allergique au chocolat et je ne bois jamais de soda. Lorsque, vers l’âge de 17 ans, j’ai commencé à ­souffrir de fatigue extrême et de maux de tête, je suis allée chez le ­médecin pour lui en faire part. Il m’a pesée, mesurée et m’a posé des questions sur mes habitudes alimentaires. Sa conclusion? Mon indice de masse corporelle (IMC) était trop ­élevé. Il m’a suggéré de suivre un ­régime et de faire plus d’exercice.

Toujours la même rengaine
Maintenant que je fais des études de sage-femme, je me rends compte qu’il aurait dû m’examiner davantage. Mais à l’époque, j’ai pensé: ‘Le docteur a dit que je devais perdre du poids, il doit avoir raison.’ Ma maman m’avait accompagnée au rendez-vous. Quand il a fait son diagnostic, elle était assise à côté de moi et acquiesçait, d’un air entendu: ‘Tu vois?’. J’ai suivi les conseils du médecin durant quelques années, mais mes symptômes ne se sont pas améliorés. Quand je suis ­allée étudier dans une autre ville, j’ai cherché un médecin sur place. ­

Encore une fois, on m’a dit que j’étais trop grosse pour mon âge. Le docteur a pris un graphique et l’a jeté devant moi pour me montrer que mon poids était bien supérieur à celui de mes camarades. Comme si je n’avais pas conscience que j’étais plus ronde que la moyenne.

On m’a à nouveau posé les mêmes questions: Qu’est-ce que je mangeais? etc. Chaque consultation avec le médecin débutait sur la balance. Puis des années après cette première consultation pour mes maux de tête et ma fatigue ­chronique, j’ai enfin été examinée ­correctement. La médecin m’a ­demandé si on avait déjà contrôlé ma thyroïde. ‘Tout ce que vous dites me fait soupçonner qu’il y a un souci’, a-t-elle dit. Les résultats de ma prise de sang ont montré que ma glande ­thyroïde produisait beaucoup trop peu d’hormones et que mon ­métabolisme avait donc du mal à se mettre en route. Lorsque je mangeais, toute mon énergie était exploitée par mon métabolisme, ce qui expliquait ma fatigue. Aujourd’hui, je prends un ­médicament chaque matin, une demi-heure avant le petit-déjeuner. Il contient une hormone thyroïdienne synthétique, qui active mon ­métabolisme lorsque je mange. Et je me sens moins fatiguée. Malheureusement, mes maux de tête sont toujours là. Ils ne sont apparemment pas liés aux autres symptômes. D’après mon kiné, c’est parce que je me ronge les ongles, mais ça, je ne pourrai pas ­arrêter tout de suite (rires).

Body positive
C’était un soulagement de savoir ­enfin ce qui n’allait pas et de voir que mes douleurs étaient prises au ­sérieux, sans que tout soit basé sur mon poids. Ma docteure actuelle ne m’a même pas posé de questions sur mes habitudes alimentaires. Elle m’a pesée et mesurée pour ­remplir mon dossier, mais elle m’a suggéré de me peser sans regarder. Depuis quelques années, je suis ­vraiment en accord avec mon corps. Je réalise que les régimes ne fonctionnent pas. Ça fait un moment que j’ai arrêté de suivre tous les comptes de fitness ou de mannequins auxquels j’étais abonnée sur Instagram. Je m’intéresse, aujourd’hui, au mouvement Body positive. Sur les réseaux sociaux, j’ai commencé à chercher des comptes de personnes qui me ressemblent. J’ai aussi décidé de ­partager moi-même des photos et, entre-temps, je me suis même fait de nouveaux amis, partout dans le monde. Mes parents ne savent pas à quel point je suis engagée dans le Body positive, mais je vais peut-être leur montrer cet article (rires). »

Peu après sa fausse couche, Laura, 34 ans, s’est entendu dire par un ­gynécologue qu’elle ne pourrait jamais avoir un bébé en bonne santé à cause de son obésité.

« Il y a trois ans, j’ai fait une fausse couche. Lorsque je suis allée faire
un contrôle à l’hôpital pour voir si tout était complètement parti, je me suis retrouvée chez un gynécologue que je ne connaissais pas. Pendant ­l’examen, il m’a demandé si le bébé avait été conçu naturellement, sans assistance. Je lui ai répondu que je n’avais pas pu concevoir d’une ­manière non naturelle, puisque la ­fécondation in vitro n’est pas ­autorisée pour une personne avec mon IMC. Il a eu l’air un peu gêné, mais j’ai l’habitude et ça ne m’a pas dérangée. Mais peu après, alors qu’il était toujours assis en face de moi, il a commencé à me dire combien il serait irresponsable que j’essaie à nouveau de tomber enceinte. ‘C’est déjà un miracle que vous soyez ­tombée enceinte une fois. Cela ne se reproduira plus’, a-t-il ­déclaré. Et si c’était le cas, les risques seraient bien trop grands. Vous ne pouvez pas faire ça. Vous ne mettrez jamais au monde un enfant en bonne santé. Vous feriez mieux de trouver une mère porteuse.’ Je lui ai répondu qu’il n’y avait pas de loi sur la gestation pour autrui en ­Belgique, ce à quoi il a rétorqué, en souriant, à ­l’attention de mon mari: ‘Elle en sait beaucoup, n’est-ce pas?’. Puis il a poursuivi: ‘Ce n’est pas ­responsable. Quand puis-je vous ­poser un stérilet?’

Un bébé en bonne santé

‘Ce gynécologue m’a fait douter de mon désir de tomber à nouveau ­enceinte. Il m’a donné le sentiment que j’étais à blâmer pour ma fausse couche, parce que j’avais insisté pour avoir un enfant malgré mon obésité.

Je n’ai pas réalisé à l’époque que ce qu’il faisait était mal. J’étais trop ­occupée à digérer mentalement la perte de mon enfant. Quelques mois après la fausse couche, je souffrais de dépression, alors je suis allée chez ma généraliste. Elle m’a questionnée sur l’origine de ce stress et je lui ai ­raconté ce qui s’était passé après ma fausse couche. Elle m’a dit qu’elle ne voyait pas pourquoi je ne pouvais pas avoir de bébé. ‘J’ai votre dossier ­devant moi, a-t-elle dit. Vous êtes en bonne santé et vous êtes encore jeune, donc je ne vois pas pourquoi ce ne serait pas une grossesse saine.’ Elle a expliqué que je devrais peut-être venir plus souvent pour des contrôles, mais ça n’avait pas d’importance. ­Petit à petit, mon mari et moi avons essayé à nouveau. ­Environ un an après ma fausse couche, j’étais à ­nouveau enceinte. Ma grossesse et mon accouchement se sont ­parfaitement déroulés. Notre fils a maintenant 14 mois et est en parfaite santé. Et il a un poids normal. Durant ma grossesse et mon accouchement, j’ai été très bien traitée. Mon poids n’a jamais été un problème, même si ça relève parfois du défi pour les ­médecins s’ils n’ont pas l’habitude de soigner des personnes obèses. Lors des échographies, ils devaient ­chercher le fœtus dans les plis de mon abdomen et une péridurale n’était pas aussi évidente pour moi que pour une personne de poids ­normal. Mais mon gynéco a toujours tout abordé comme une grossesse normale.

Méfiance
Avant de tomber à nouveau enceinte, j’ai fait des recherches sur les risques liés à une grossesse en cas d’obésité, mais je n’ai pas trouvé beaucoup ­d’informations. Il n’y a pas eu assez d’études pour tirer des conclusions aussi drastiques que celles de ce ­gynécologue. Maintenant, je me dis que j’aurais dû porter plainte. Mais je pense que cela n’aurait pas eu ­beaucoup d’impact. Il était tellement convaincu d’avoir raison. Je suis ­souvent confrontée à des personnes qui sont persuadées que les gros sont en mauvaise santé. J’éprouve une ­certaine méfiance à l’égard du corps médical. Trouver un nouveau médecin est un calvaire pour les personnes en surpoids, car vous avez peur de devoir vous battre à nouveau contre les préjugés. De ­nombreux docteurs semblent ­supposer que vous ne vous regardez pas dans le miroir ou que vous ne connaissez pas votre taille de ­vêtements. Ils ont tendance à penser que l’on ne sait pas que l’on est en surpoids et qu’il y a des risques, alors que nous vivons dans notre corps et sommes confrontés aux préjugés quotidiennement.»

Ce n’est que six mois après la première visite de Sarah, 33 ans, chez le médecin qu’elle a découvert qu’elle était atteinte d’un cancer.

« J’avais 18 ans quand j’ai pris rendez- vous chez le médecin parce que j’avais des palpitations depuis un ­certain temps, ce dont je n’avais ­jamais souffert auparavant. Je sentais aussi une grosseur étrange dans mon estomac. Mon médecin de famille était en maladie pour une longue ­période à l’époque, alors je suis allée voir une remplaçante. Un bilan de santé a révélé qu’en plus des ­palpitations, j’avais aussi une tension artérielle élevée. Ce n’est pas ­vraiment une pathologie ordinaire pour une personne aussi jeune, mais la médecin n’a rien trouvé ­d’inhabituel dans mes symptômes. Elle m’a juste prescrit un médicament.

D’après elle, je ne devais pas trop m’inquiéter pour la masse dans mon ventre… Après l’avoir palpé un ­moment, elle a conclu qu’il devait s’agir d’un amas graisseux. Puis elle m’a fait un sermon sur mon poids, une alimentation saine, bla-bla-bla.

Environ six mois après cette ­première visite, j’ai senti la boule grandir dans mon ventre. Elle m’a alors prise au sérieux et a fait une analyse de sang sans tarder, avant de m’orienter vers une échographie. Elle a appelé pour me trouver un rendez-vous, insistant pour que j’aie une place le lendemain.

Pas de plainte déposée
La masse dans mon ventre s’est ­révélée être une tumeur à croissance rapide, sur mon rein. Les palpitations et l’hypertension artérielle en sont des symptômes connus. J’ai eu sept séances de chimiothérapie pour ­réduire la taille de la tumeur, une ­o­pération, puis quatorze autres séances de chimio et quatorze séances de radiothérapie. L’oncologue m’a dit que mon traitement aurait été très différent si j’avais été diagnostiquée six mois plus tôt. La tumeur était plus petite à l’époque, et la chimio n’aurait pas été nécessaire avant l’opération. J’avais déjà perdu beaucoup de force et de résistance lorsque j’ai commencé le deuxième cycle de chimio. Mes cheveux étaient déjà tombés. Cette année de ­traitement a été très dure, tant ­physiquement que mentalement. J’avais peur de mourir, une chose dont on ne devrait pas se soucier à 19 ans. Mes amis avaient d’autres ­occupations, alors je ressentais une grande solitude. Je suis depuis ­plusieurs années, en rémission. Je suis en bonne santé et heureuse. Bien que je n’aie pas été traitée correctement par ce médecin, je n’ai jamais envisagé de déposer plainte. J’étais très en colère, mais je savais qu’une action en justice ne changerait rien à mon diagnostic ni à mes sentiments. J’en tire une belle leçon: il faut se faire entendre! Poser des questions, être critique, ne pas se contenter de tout ce que dit un docteur et ne pas se laisser convaincre par lui, surtout si on est en surpoids. Je fais confiance aux médecins, mais je fais désormais ­aussi mes propres recherches.

Marre des stéréotypes
Ces dernières années, j’ai beaucoup appris sur les clichés dont sont ­victimes les personnes obèses dans notre société. Je suis beaucoup de militantes Body positive et j’apprends à m’aimer. Je suis maintenant plus forte, et j’ose dire les choses si une conversation avec mon médecin ne me satisfait pas. Comme par exemple, lorsque j’ai ressenti les répercussions de mon traitement contre le cancer après mon accouchement. J’avais traversé tout le cycle du cancer sans encombre et je pensais que c’était derrière moi, mais ça s’est avéré très loin de la vérité. Quand je suis ­devenue maman, je me suis sentie tellement mal dans ma peau que je ne parvenais même plus à travailler. Alors je suis retournée voir ma généraliste. Elle m’a orientée vers un psy, et a mentionné qu’une ­réduction de mon estomac serait une bonne ­option. Que je serais ensuite plus en forme et plus épanouie. Je lui ai fait comprendre que mon poids n’était pas le sujet qui me préoccupait.
Je lui ai dit que, je souhaitais qu’elle se concentre sur mes symptômes et pas sur des sujets secondaires. Comment un by-pass pourrait-il m’aider face
à mon cancer?

C’est une honte qu’il soit presque impossible pour les ­personnes en surpoids d’aller chez le médecin sans entendre de remarques désobligeantes ou des solutions non sollicitées, comme si tous les gros ­devaient devenir minces.

Le mot de l’expert

Il y a une croyance persistante selon laquelle les personnes en surpoids (avec un IMC supérieur à 25) ou obèses (avec un IMC supérieur à 30) sont en mauvaise santé. Mais est-ce vrai? « La science dit que non, explique An Vandeputte, psychologue clinique et thérapeute comportementale, coordinatrice d’un centre des connaissances sur les ­problèmes d’alimentation et de poids.

Sur base du poids seul, on ne peut pas dire si une personne est en mauvaise ­santé. Nous devons examiner son mode de vie. Il se peut qu’une personne obèse qui mène une vie saine soit en meilleure santé qu’une personne de poids normal dont le train de vie n’est pas sain.

Des études récentes montrent aussi que la santé métabolique d’une personne obèse peut s’améliorer si elle adopte un style de vie plus sain, sans nécessairement perdre du poids. Toutefois, nous ne pouvons pas dire que le poids n’a aucune influence. Une personne de poids normal ayant un mode de vie sain aura une meilleure santé métabolique qu’une personne en surpoids ayant le même mode de vie. La santé métabolique fait ­référence aux valeurs ­cardio-vasculaires telles que la ­pression ­artérielle, le profil lipidique, le diabète et la résistance à l’insuline. »

Dossier médical global
L’IMC, un paramètre calculé sur la base du poids et de la taille, n’en dit pas assez sur la santé d’une personne pour en tirer des conclusions médicales. « Des informations ­supplémentaires sont nécessaires, concernant le mode de vie de la personne, l’évolution de son poids et un ­certain nombre d’autres paramètres psychologiques, ­médicaux et ­nutritionnels, explique Ann Vandeputte. Si une personne présente un poids normal par rapport à la moyenne, on pense, sur la base de l’IMC, qu’elle se porte bien… Alors que ce poids peut avoir été atteint dans le cadre d’un trouble alimentaire sévère. Il serait conseillé, pour une personne en surpoids de faire plus de sport. Mais avant cela, d’autres analyses sont nécessaires. Une personne en surpoids peut tout à fait perdre quelques ­kilos en adaptant simplement son mode de vie. Elle peut même rester en surpoids, d’après le calcul de son IMC, mais avoir atteint le poids qui correspond à son profil et être en bonne santé. Quelqu’un d’autre, avec le même ­surpoids, pourrait ne pas perdre un gramme malgré un style de vie adapté; et une troisième personne peut aussi passer d’un poids normal au surpoids en peu de temps. Dans ce dernier cas, il est important de comprendre ­l’origine de cette prise de poids. En bref, il n’existe pas deux personnes en surpoids qui soient identiques. Il faut ­toujours poser un diagnostic personnalisé. »

En finir avec les étiquettes
« Il est important que l’attention de notre société et du monde médical se déplace du poids, du chiffre, vers le mode de vie, explique Ann Vandeputte. Un style de vie sain et adapté, cela dépend de plusieurs facteurs: manger varié, bouger régulièrement etc. En plus de cela, d’autres aspects doivent entrer en compte. L’amour de soi notamment. Suivre un régime et faire du sport juste parce que vous ne vous sentez pas bien dans votre peau et que vous souhaitez perdre du poids, ce n’est pas sain. Une ­personne en bonne santé bouge parce que c’est à la fois bon pour son corps et pour son esprit. Elle ne le fait pas pour maigrir. Le sport agit sur la graisse située entre les organes. C’est pourquoi sa pratique est ­importante, mais pas dans l’objectif de perdre des centimètres. À côté de cela, la gestion des émotions et le sommeil jouent eux ­aussi un rôle dans la prise et la perte de poids. »

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