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Témoignage: Mélissa, 29 ans, est retournée vivre chez ses parents

La rédaction


On parle de la “génération Tanguy” qui tarde à quitter le nid et de la “génération boomerang” qui retourne chez ses parents après une séparation ou la perte d’un emploi. En Belgique, les jeunes délaissent le cocon familial de plus en plus tard. Mélissa, 29 ans, a décidé, après avoir rompu avec son petit ami, de retourner vivre chez sa mère.



“Après trois ans et demi de relation, dont deux de vie commune, mon ­compagnon et moi nous sommes ­séparés. À l’époque, je ne travaillais qu’à mi-temps et, financièrement, je n’étais pas capable de m’assumer seule. J’ai donc pris la décision de retourner vivre chez ma mère. Je sais que, pour ­certains, c’est impensable de retourner vivre chez ses parents après avoir goûté aux joies de l’indépendance, mais moi, j’étais très excitée à l’idée de retrouver ma mère. Je n’avais pas envie d’être seule. Et d’ailleurs, je ne me suis jamais sentie privée de ma liberté. Ma mère ne m’a pas imposé de couvre-feu (rires).

En règle générale, je fais ce que je veux, quand j’en ai envie. Ma mère me ­demande juste de lui laisser un petit mot quand je sors. Je fais mes lessives et mon repassage, mais ma mère cuisine pour nous deux.


Lorsque je rentre du boulot, je n’ai plus qu’à mettre les pieds sous la table. Quand j’habitais avec mon copain, je devais aller faire des courses et ça, c’est terminé. Retourner chez ses parents, ce n’est pas ­intéressant que financièrement... J’ai aussi de la compagnie tous les soirs.

Pression sociale


J’ai 29 ans et je suis parfois gênée de ­devoir dire que j’habite encore chez ma mère. Parce que la société veut qu’à mon âge on ait déjà fait sa vie. On imagine quitter le nid vers 20 ans pour se marier, fonder une famille. Et après 25 ans, ça devient presque problématique d’être encore chez ses parents. À cet âge-là, on est supposé ­déménager et prendre nos ­responsabilités. Quand les gens ­apprennent que je suis toujours chez ma mère, ils disent : ‘Tu n’as pas bientôt 30 ans ?’ Je passe pour une grande ­immature. Et j’avoue que lorsque j’avais 20 ans, je n’imaginais pas que j’en serais là à 29 ans.

Quand on me demande pourquoi je vis chez ma mère, je précise toujours que, non, je ne suis pas une ­gamine qui manque d’ambition, mais que les aléas de la vie m’ont mise dos au mur : je n’avais pas le choix.

Du temps pour moi


Aujourd’hui, j’accepte plus facilement les jugements sur ma situation. Je me suis fait une ­raison. Je travaille à la ­maison, mais ma mère et ma sœur – qui vit toujours à la maison avec nous – ont des horaires ­décalés. C’est rare qu’on soit toutes les trois à la maison. Il ­m’arrive donc d’être seule et de pouvoir prendre du temps pour moi. Je n’ai pas l’impression d’avoir constamment ma mère sur le dos. On a trouvé un bon équilibre. Au début, ma sœur n’était pas franchement emballée à l’idée que je ­revienne vivre à la maison. Elle avait toute ­l’attention de ma mère et, après ma ­rupture, les rôles ont changé : ma mère s’inquiétait beaucoup pour moi.

Ma sœur et ma mère avaient l’intention de transformer mon ancienne chambre – qui était devenue une chambre d’amis après mon départ – en salle de sport. Leur plan est tombé à l’eau.


Après quelques mois, j’ai retrouvé l’énergie nécessaire pour réaménager ma chambre, repeindre les murs, changer les meubles et y installer mes affaires.

Mon jardin secret


L’un des grands inconvénients, c’est que je ne peux pas inviter des amis à la ­maison. Ma mère est là, dans le fauteuil, et je ne peux pas parler à mes ­copines librement. Si je lui demandais de nous laisser la maison pour la soirée, ça la blesserait. Mais bon, je n’ai pas franchement envie ­d’évoquer mes histoires de cœur en présence de ma mère. Il y a certaines choses que je préfère taire (rires). J’ai l’impression que nos liens se sont resserrés. Quand je suis ­partie, on se voyait moins souvent. ­Maintenant, je la vois tous les jours. Il nous arrive aussi de nous disputer, mais heureusement, ça ne dure ­jamais très longtemps.

Pas d’urgence


Je ne compte pas rester dix ans chez ma mère. Il va bien falloir partir un jour, mais comme je me sens bien et que je ne la dérange pas, il n’y a pas d’urgence. Surtout que j’ai la fâcheuse tendance à toujours reporter à demain ce que je pourrais faire aujourd’hui.

Il ­m’arrive d’éplucher les annonces ­immobilières, mais rien ne me plaît. Ici, il y a de l’espace, je me sens bien et je n’ai pas envie de louer ou ­acheter quelque chose de moins bien.


Je suis devenue très exigeante. Et puis, les loyers sont tellement ­élevés. Je préfère continuer à vivre chez ma mère pour économiser. Je n’ai pas envie de vivre seule, de ­peiner à joindre les deux bouts, juste parce que c’est ‘mieux vu’ de ne plus être chez ses parents à mon âge.”

“On a tendance à qualifier trop rapidement les adultes qui vivent encore chez leurs parents de profiteurs”.


C’est un constat : les jeunes restent de plus en plus tard chez leurs parents. Est-ce une tendance propre à notre époque ?
“L’âge auquel on quitte le cocon familial n’a cessé ­d’augmenter ces 20 dernières ­années.” explique Dimitri Mortelmans, professeur d’université en Sciences sociales. “On constate que les hommes restent plus tard chez leurs parents que les femmes. Cela s’explique en partie par le fait que les femmes ont tendance à se mettre en couple avec des hommes plus âgés qu’elles. Elles partent donc plus tôt de chez leurs parents et eux plus tard.”

Pourquoi les jeunes vivent-ils de plus en plus longtemps chez leurs parents ?
“Il y a plusieurs explications possibles. L’une des principales raisons, c’est que les études sont de plus en plus longues. Les jeunes commencent donc à travailler plus tard et quittent rarement le nid avant d’avoir trouvé du boulot. L’autre raison, c’est que les jeunes de notre époque veulent ­immédiatement se créer un foyer à leur image. Avant, on récupérait un vieux fauteuil chez un copain, une table basse chez une tante. Aujourd’hui, on achète du neuf... et ça coûte plus cher, ce qui ­explique que les jeunes veuillent rester plus ­longtemps chez leurs parents pour économiser.”

Les parents ont-ils une influence sur l’âge auquel leurs enfants souhaitent déménager ?
“Cela va peut-être de vous étonner, mais des études ont démontré que certains ­parents apprécient le fait d’avoir toujours leurs enfants sous leur toit. Du coup, ces derniers ne réalisent pas ­vraiment qu’il est temps qu’ils volent de leurs propres ailes.”La société a tendance à juger les adultes qui vivent longtemps chez leurs parents…

Dans l’inconscient ­collectif, l’être humain est supposé suivre un ­schéma de vie précis, faire telle ou telle chose à tel ou tel âge. On a ­tendance à juger celles et ceux qui ne s’inscrivent pas dans ce schéma.


Pour la plupart d’entre nous, les enfants sont ­supposés quitter le cocon familial entre 20 et 30 ans. S’ils partent plus tard, on ­commence à se poser des questions. On a le sentiment de passer pour des profiteurs.”

Où se situe la Belgique par rapport au reste du monde ?
“En moyenne, les femmes quittent le nid à 25 ans et les hommes à 26 ans. On constate que dans tous les pays européens, l’âge est en train ­d’augmenter. Même si, en Suède, les jeunes partent plus tôt : aux alentours de 20 ans. En Espagne, les jeunes partent plus tard : 27 ans pour les femmes et 29 ans pour les hommes. Le champion d’Europe est la Croatie : les femmes déménagent à 29 ans et les hommes à 32 ans. Et cette tendance n’est pas près de s’inverser.”



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