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© Coraline Doneux

Témoignage: ““Ma petite fille est née avec une main en moins et m’épate tous les jours””

La rédaction


Chanel était enceinte de 12 semaines quand est tombée cette bombe : “Je ne vois pas de main gauche.” Elle nous confie le poids du doute, de la culpabilité… La montagne de questions qu’elle s’est posées et le manque d’empathie de certains médecins.



Un jour ensoleillé de février, Chanel, 28 ans, pédicure médicale et ­esthéticienne, et Julien, 33 ans, conducteur de train, nous accueillent chez eux. Leur petite Alice, 19 mois, joue gaiement avec sa mamy dans le salon encombré de jouets. Ce n’est qu’après ses yeux rieurs, son sourire charmeur, que nous apparaît sa “petite main” : elle est née avec un avant-bras en moins. “On voulait un enfant depuis des années. Quand on a appris la bonne nouvelle. Ça a été une explosion de joie. En plus, comme je travaillais en milieu hospitalier, à l’accueil, j’ai été écartée. J’avais le temps de créer mon bébé tranquillement, chez moi, et la saison des films de Noël commençait. C’était parfait” commence Chanel.

Comme une bombe


L’échographie des 12 semaines est arrivée. On était sereins. On ­pensait enfin connaître le sexe. C’était une petite fille ! Le gynécologue nous montrait l’échographie, expliquait… Puis il s’est tu un long ­moment avant de dire : ‘Il y a un souci, je vois un coude, mais pas de main d’un côté... Mais elle est mal placée!’ J’ai même plaisanté : ‘Pas de bras, pas de chocolat !’, mais il m’a dit ‘Non, je suis très sérieux, je ne vois pas de bras.’ On était assommés. Il nous a dit qu’il fallait consulter un gynécologue fœtal.

L’absence de bras ou de main est souvent liée à un problème chromosomique, qui peut rendre l’enfant sourd, muet et aveugle.


Le rendez-vous aurait lieu 15 jours plus tard. On est rentrés en voiture, sans parler. On a fondu en larmes à la ­maison. J’ai senti la petite bouger et nous sommes tout de suite partis refaire une échographie dans l’espoir qu’elle soit mieux placée et qu’on voie son bras. Mais à l’hôpital, on est tombés sur une stagiaire qui nous a dit qu’elle ne voyait pas de bras du tout. C’était terrible ! Mon gynécologue a tenté de me rassurer par téléphone, m’expliquant que ce qu’on mesurait était très petit, qu’on était encore dans ­l’inconnu… Ensuite, on a vécu 15 jours de torpeur, à pleurer et ­manger. Beaucoup parler à deux, aussi. On ne savait pas quoi dire à nos proches.

Tant de doutes et questions


Les questions ont fusé après : ‘Pourquoi moi, pourquoi mon bébé  ? Qu’est-ce que j’ai fait ? Ou pas fait. Et comment va-t-elle faire ? Pour faire ses lacets, ouvrir un couvercle ? Et s’il y avait encore autre chose ? Est-ce que je vais pouvoir la garder ?’ Le gynécologue fœtal a ­confirmé : il ne voyait pas de main, pas de poignet, pas une partie du bras. Il nous fallait voir un généticien pour voir s’il y avait d’autres atteintes au niveau chromosomique. Et le rendez-vous était fixé quatre semaines plus tard. De nouveau l’attente, les doutes…

On a dit à nos proches qu’il y avait un problème. Leurs mots ont parfois été terribles et on a tellement pleuré ensemble ! Alors qu’une grossesse devrait être un moment de joie.


Quand on annonçait qu’il y avait un problème, tout le monde se décomposait. Mon mari aussi. Et dès que je voyais un bébé, je pleurais. C’était très dur. Un jour, je lui ai dit :‘Je suis incapable de porter la peine des autres, de porter ma peine et de construire un bébé.’ Il est devenu mon roc. La visite médicale suivante a été pire encore. Autour de moi, ventre à l’air qui pleurais, il y avait gynécologue, assistante, généticien, ­étudiants… Nous étions dix. J’étais le cas du jour. Le généticien glissait ses questions au gynécologue. Je me sentais comme une vache qu’on conduisait à l’abattoir. Seul le gynécologue faisait preuve d’empathie et de respect face à notre situation.

La garder


J’aurais dû faire une amniocentèse pour voir si tout était en ordre au niveau chromosomique, mais comme je fais de l’hypertension, c’était risqué pour ma santé et celle du bébé. Je n’ai pas pu la faire. Mes choix étaient d’interrompre ma grossesse ou de découvrir, à ­l’accouchement, ce qu’il en était… Je voyais mon gynécologue tous les 15 jours. Lors d’une échographie, j’ai vu ma fille me faire un pouce en l’air. J’ai eu envie d’y croire. J’ai décidé de la ­garder. J’ai bien sûr fait des recherches sur Internet : ‘Absence de bras’, ‘bébé sans membre’, ‘si je n’aime pas mon ­bébé’… C’était l’une des questions, ­terrible, que je me posais. J’avais ­demandé en consultation s’il existait des groupes de parole, mais on n’avait pas pu me renseigner !

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Heureusement, sur Internet, j’ai trouvé le témoignage d’une maman française qui avait vécu la même chose que moi. Je lui ai écrit et elle m’a donné son numéro de téléphone. On a beaucoup parlé, et même si ça m’a coûté cher d’appeler à l’étranger, ça valait plus que toutes les consultations du monde. Sa fille avait la même chose qu’Alice. Elle comprenait par quoi j’étais passée, avait eu les mêmes peurs… Mais tout se passait bien. Elle m’a parlé de ­l’association française Assedea, pour les personnes qui ont une absence de membre. Sur leur page Facebook, j’ai lu des témoignages de parents, de grands-parents, d’adultes ayant grandi sans un membre. J’ai posté mon histoire et on m’a contactée, réconfortée. J’ai aussi ­découvert d’autres parents belges… et vu à quel point la France était plus avancée que la Belgique dans ce domaine. Chez nous, il n’y a pas de nom spécifique à ce handicap juste ‘sans membre’ ou ‘sans bras’. En France, on parle d’agénésie. Il y a même une clinique spécialisée, la clinique Saint-Maurice, à Paris.

Sous le signe de l’angoisse


L’accouchement est arrivé. Le travail a été long. J’étais terrorisée, pleine de doutes et de questions sur la santé du bébé… Et l’espoir un peu fou qu’elle ait tout de même deux mains. Quand on a posé mon ­bébé, Alice, sur moi, je n’ai pas explosé de joie comme à un ­accouchement ordinaire… J’ai regardé si elle avait sa main gauche. Non… c’était donc bien vrai. J’ai regardé si elle ouvrait les yeux.

Je n’ai pas pu vivre pleinement mon accouchement. C’est comme si on me l’avait volé. Ensuite, on l’a prise, mesurée, pesée, et on a confirmé froidement l’absence de bras. Il y a, pour toujours, une brûlure dans mon cœur de maman.


Ensuite sont arrivées les visites. Nos proches nous ont avoué qu’ils appréhendaient, qu’ils ne savaient pas comment se comporter, s’ils devaient regarder ou non… Aucune réaction ne pouvait de toute façon être la bonne. Même lorsque ma meilleure amie a voulu me réconforter en me disant : ‘La pitchoune est là, elle est en bonne santé, il y a juste sa petite main…’, j’ai été agressive. Je me sentais incomprise. Quand nous sommes rentrés à la maison, j’étais complètement déconnectée. La sage-femme m’a dit que c’était juste un baby blues… Mais deux jours après l’accouchement, j’ai été voir ma psychologue en lui disant : ‘Je suis à deux doigts d’aller me ­jeter dans le canal. Est-ce que tout est de ma faute ?’ J’ai fait une ­dépression post-partum. Je pleurais en regardant mon bébé, en ­l’allaitant… Malgré les remontrances de la sage-femme, on lui a ­donné le biberon. J’ai eu beaucoup de chance d’avoir mon mari, de très bons médecins traitants, gynécologues et psychologues. J’avais du mal à entrer en contact avec Alice. Sans eux, je pense que je n’aurais jamais pu l’accepter. Mon mari s’est énormément occupé d’elle.

Couper le cordon


C’est quand il a repris le boulot, que j’ai vraiment créé un contact avec Alice. Petit à petit. Et puis, je l’ai surprotégée. Je créais une bulle ­autour d’elle et moi, et je ne laissais personne entrer. Alice devait aller à la crèche pour ses 8 mois, mais la veille, j’ai dit à Julien : ‘Je ne me sens pas capable de la déposer.’

J’avais peur des questions des autres enfants. Ils viennent souvent toucher son bras, demandent si ‘c’est tombé pendant la nuit ?’


C’est super mignon, mais je n’étais pas prête… Nous avons eu la chance que ma belle-mère ait été disponible. Elle a quitté Liège exprès pour s’occuper de ses petites filles et vit ­quasi chez nous. J’ai réussi à couper le cordon quand j’ai repris le ­travail. Je ne voulais pas retourner à l’hôpital après tout ce que j’avais vécu. Je me suis lancée dans la pédicure médicale et comme esthéticienne. J’ai commencé par quelques clients, ce qui m’a permis de ne laisser Alice que quelques heures. Puis mon travail a augmenté.

Des risques d’autres handicaps


Les visites médicales ont continué, pour savoir si Alice avait d’autres handicaps, mais sa vue est bonne, son ouïe aussi… Nous avions été voir un chirurgien orthopédiste qui m’avait mise hors de moi en ­disant qu’elle devrait porter une prothèse ‘car ce n’est pas esthétique.’ Qui est-il pour juger de ce qui est beau ou pas ? Je ne trouve pas que la petite main d’Alice soit laide, qu’il faille la cacher. On nous a ­recommandé un orthopédiste spécialisé en pédiatrie à la KUL. C’était terrible. On a vu des enfants sans main, sans jambe, sans bras. Avec les pieds en crabe, le visage déformé. Des femmes enceintes en pleurs, qui ne savaient pas si elles pourraient garder leur enfant. Ça a été très compliqué de gérer toute cette misère. Mais notre fille allait bien.

Le regard des autres


Le médecin nous a déconseillé la prothèse, car elle lui aurait fait perdre sa sensation de toucher. Souvent, avec une prothèse, les ­enfants ne se servent plus du tout de leur bras. Hors, Alice utilise le sien. Quand elle sera plus grande, elle décidera si elle veut mettre une ­prothèse ou pas. Les premières sorties avec Alice ont été difficiles. J’étais dans ma période ‘boule de feu’. Je me mettais terriblement en colère quand on la dévisageait avec insistance. Aujourd’hui, j’arrive à mieux gérer. Je me suis blindée. Et puis, ce qui est aussi difficile, c’est qu’à cause de son handicap, tout le monde pense toujours que quelque chose ne va pas. Le médecin à la visite de contrôle, nos proches… ils nous inquiètent sans raison. J’ai aussi l’impression d’être mise en cause. On me demande si j’ai fumé ou bu pendant ma grossesse, etc. Alors que Julien ne me laissait même pas manger de charcuterie et de fromage ! Nos amis l’appelaient en riant ‘la prison du goût’ !

Témoigner pour aider


Nous avons eu énormément de frais médicaux. Alice est reconnue comme handicapée par la sécurité sociale, mais elle ne l’est pas à nos yeux. On me ­demande parfois ce qui a changé pour moi. La réponse est : tout. Je me sens plus froide à l’intérieur, comme si j’avais quelque chose d’éteint au fond du cœur. J’ai dû me blinder. J’aurais aimé que certains médecins soient plus ­prévenants. Après tout ce qu’on a ­traversé, on a eu envie de témoigner ­auprès d’autres parents qui apprendraient qu’il y a un problème avec leur futur bébé, de créer un groupe de ­paroles. On a ­proposé notre idée à des associations, des ­hôpitaux… Sans ­succès.

Ce qu’on ­aimerait dire à ces ­parents qui vivent la même chose ? Que c’est normal d’avoir peur, de douter. Que se demander si on ­aimera notre enfant ne fait pas de nous de mauvais parents, au contraire.


Si vous vous posez toutes ces questions c’est que vous êtes en train de devenir parents et que vous vous souciez déjà du bien être de votre enfant. Depuis sa naissance notre petite fille nous épate tous les jours. Et son ­petit truc en moins fait qu’elle a un petit truc en plus.”

Où trouver du soutien?


www.handikids.be œuvre à améliorer ­l’information des familles d’enfants handicapés.
http://casaclara.be propose des moments de détente aux familles d’enfants porteurs ­d’un handicap ou d’une pathologie lourde.



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