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TÉMOIGNAGE: ils ont été harcelés par leur professeur

Barbara Wesoly

L’abus de pouvoir est partout, y compris à l’école. Qu’il s’agisse d’un jeu de pouvoir vicieux ou de pur harcèlement, ces jeunes se souviennent très bien de la façon dont un enseignant s’est moqué d’eux il y a quelques années.

Élisabeth, 24 ans

« Quand j’avais 16 ans, j’ai choisi une orientation artistique. Trois des professeurs que j’avais à l’époque étaient de vieux briscards. Je réalise aujourd’hui que beaucoup de choses qu’ils ont faites, à l’époque, n’étaient pas ­acceptables, et que j’en subis encore les conséquences aujourd’hui. Un événement ressort en particulier. Au tout premier cours, nous avons tous dû nous mettre debout devant la classe, et puis, le prof a dit: ‘Et maintenant, les jolies filles peuvent aller s’asseoir à l’avant.’ J’étais, un peu, le mouton noir dans une classe pleine de filles très ‘filles’, alors j’ai immédiatement compris qu’il ne parlait pas de moi. Il a choisi a peu près toutes les filles de la classe pour les premiers rangs et j’ai pu m’asseoir à l’arrière. Le ton était donné. Je me souviens d’autres moments sexistes. Un jour de grande chaleur, un garçon de ma classe avait apporté des glaces à l’eau. Lorsque deux filles d’une autre classe sont rentrées, le prof a dit: ‘Donne-leur une glace aussi, ce sont mes petites chouchoutes.’ De jolies filles, bien sûr. Je comprends qu’on puisse préférer un élève à un autre, mais un professeur se doit de traiter tout le monde de la même manière. Les deux années passées avec ces profs ont été un enfer pour moi. J’avais beau faire de mon mieux, on se moquait de moi et on m’humiliait.

J’étais la seule à avoir de mauvaises notes, quoi que je fasse. C’est allé si loin que je rentrais chez moi en pleurant, tous les jours.

Je pense vraiment que tout ça était dû à mon apparence, parce que je ne suis pas une fille typique qui porte des jupes, je porte juste ce que je veux. Finalement, je n’ai pas réussi ma sixième. On m’a donné des travaux de vacances. Le professeur de ‘l’histoire des glaces’ a pris mon travail, l’a à peine regardé et m’a dit à quel point il était mauvais. Il n’avait rien vu, mais son ­jugement était déjà fait. On a même appelé chez moi pour me dire que je ferais mieux de ne pas continuer dans cette direction. ­Depuis, j’ai obtenu mon diplôme, mais cette période me trouble ­encore. J’ai travaillé très dur, sans jamais obtenir les ­résultats ou les compliments que je méritais. Tout cela m’a rendue très peu sûre de moi. À force d’être sans cesse comparée à des élèves qui étaient toujours félicitées – même quand elles ne faisaient rien de spécial – j’ai ­développé un complexe d’infériorité. L’égalité devrait ­toujours primer. Personne n’est meilleur qu’un autre. »

Carmen, 28 ans

« En primaire, j’étais dans une classe avec uniquement des enfants de familles très riches, alors que nous n’avions pas beaucoup d’argent. Tout le monde était conduit à l’école en voiture de luxe et portait des vêtements de marque, et moi j’arrivais habillée en vêtements de seconde main à l’arrière de la mobylette de ma maman. J’étais donc une outsider, mais j’avais des amis et je m’en sortais bien. Ma prof de cinquième secondaire ne l’acceptait pas. Elle avait les moyens: elle avait une belle voiture et elle s’habillait et habillait aussi ses enfants – qui avaient un an de moinsque moi – avec des vêtements de marque. Pour elle, je ne correspondais pas à l’image idéale de cette école. Un jour, toute la classe a eu des poux. Lorsque ma prof a su que j’en avais, elle est venue se placer derrière moi, a inspecté mes cheveux à l’aide de deux stylos, et a fini par lâcher: ‘Oui, les enfants, Carmen a des poux. Je propose que nous déplacions nos bureaux de deux mètres.’ Quand on était en voyage scolaire et qu’on ­voulait prendre une photo, elle disait: ‘Pas trop près de Carmen, elle a des poux!’ C’est ainsi qu’elle a cherché à m’exclure à plusieurs reprises. En classes de neige, j’étais dans une chambre avec mes amies, le groupe des filles ‘cool’. Dans une autre chambre se trouvait une fille dont les parents étaient amis avec la prof. Comme la fille s’était plainte à ses parents en disant qu’elle n’était pas dans une chouette chambre, la prof m’a fait changer avec elle. Elle me rabaissait et me prenait tellement pour cible que je me suis même sentie obligée d’acheter des cadeaux à ses filles pour leur anniversaire. J’espérais que grâce à ça, je serais davantage estimée. À l’époque, je n’en ai pas parlé avec ma mère, mais elle sentait bien que quelque chose se tramait. Elle était là lorsque j’ai offert des cadeaux à la prof. Aujourd’hui, ­j’aimerais dire à cette prof à quel point son comportement a eu un impact sur moi.

Sentir que quelqu’un vous regarde de haut est l’un des sentiments les plus acides qui soient. Heureusement, j’ai pu transformer mon expérience en quelque chose de positif.

Je ne ferai jamais sentir à quelqu’un qu’il vaut moins que les autres. Cela a aussi créé en moi une sorte de besoin de ­performance. Je suis motivée à réussir et à aller loin, pour lui prouver – à elle et à tous ceux qui m’ont traitée différemment en raison de ma situation – que je peux y arriver. Ça ne m’a pas donné un complexe d’infériorité. Je sais que ce que je vaux, et je vais leur montrer (rires). »

Jerry, 32 ans

« J’ai étudié la coiffure en secondaires. Nous n’étions que deux garçons dans la classe, donc pour les cours d’éducation physique, nous devions rejoindre les garçons de l’option Hôtellerie. Ils étaient considérés comme les hooligans de l’école, ce que le prof de gym appréciait. En revanche, il n’aimait pas les ­garçons qui voulaient devenir coiffeurs. Je suis gay et, à ce moment-là, j’avais déjà fait mon ­coming out. Cela augmentait encore son aversion envers moi. Je me souviens que le prof est entré en classe, il a salué tout le monde: ‘Ah, les hommes sont là!’ Avant de se tourner vers moi en disant: ‘Pour toi, c’est ­mademoiselle, c’est ça?’, à la plus grande hilarité des autres élèves, car les autres adoraient nous ­malmener, mon camarade de classe et moi. On a touché le fond quand ils ont commencé à nous bombarder de balles pendant le cours. Le prof est resté là, à regarder en riant. Par la suite, nous ­restions sur la touche et nous trouvions toujours une excuse pour éviter de participer à ce cours horrible. J’ai même essayé de me blesser exprès avec un ­marteau, chez moi, pour avoir une excuse… Puis j’ai commencé à sécher son cours. Une fois, je me suis fait prendre et j’ai eu une retenue. J’étais assis à table, face à une fenêtre.

Le prof de gym est entré dans la classe et s’est mis ­derrière moi. Dans le reflet de la fenêtre, j’ai vu qu’il mimait le mouvement d’un tir dans mon dos. ‘Il ­faudrait abattre cette ­espèce’, a-t-il dit.

Finalement, j’ai été ­raconter mon histoire à l’éducateur. ‘Nous allons ­t’accompagner en classe, voir comment ça se passe’, a-t-il dit. Comme s’ils ­allaient me bombarder de balles alors que quelqu’un regardait. Quand j’ai insisté en disant que j’allais continuer à sécher le cours si rien ne se passait, ils ont décidé que les garçons de la section Coiffure pourraient suivre le cours avec les filles. Je suis content que nous ayons pu changer ça pour
les garçons après nous. »

Pourquoi un enseignant harcèle-t-il?

Patrick Lancksweerdt, psychologue scolaire « Soit les gens ont une affinité avec une personne, soit ils n’en ont pas. C’est un fait qu’on ne peut pas nier, y compris dans le cadre de relations de pouvoir comme celle qui existe entre un professeur et son élève. Un prof mentirait s’il prétendait aimer tous ses élèves de la même façon. Il est important d’être conscient de cette affinité et d’être vigilant, pour qu’un sentiment négatif envers un élève ne se ­transforme pas en un comportement perceptible. Même s’il n’a pas le même feeling avec tous ses élèves, un professeur doit toujours garder une attitude positive envers eux. Et c’est là que le bât blesse ­parfois. » Un grave abus de pouvoir et du harcèlement peuvent souvent être liés à un manque d’assurance chez le professeur lui-même, affirme Patrick Lancksweerdt. « L’abus d’autorité et de pouvoir est souvent l’expression d’un doute quant à ses propres compétences. Dans ce cas, l’enseignant doit être consulté, il faut voir si ses compétences peuvent être améliorées et si son choix ­d’enseignement était le bon. »

L’intimidation a ­davantage à voir avec le ­pouvoir qu’avec les ­sentiments, affirme aussi Patrick Lancksweerdt. « Parfois, le comportement d’intimidation d’un enseignant découle de sa peur de perdre le contrôle sur
cet élève, et donc sur toute la classe. C’est une lutte de pouvoir ­inégale. » Les conséquences pour un élève peuvent être graves. « Le harcèlement fragilise la confiance en soi. Et si cela vient d’un ­enseignant, ça peut prendre une dimension ­supplémentaire, car il s’agit par définition d’une personne en qui vous avez confiance pour s’occuper de vous. Si cet aspect-là est mis à mal, surtout en ­primaire, où l’on a constamment affaire à un seul ­enseignant, ça peut devenir très nocif. »


Que peut faire l’élève?
« Si un élève a le sentiment d’être traité injustement, il est d’abord recommandé d’en parler avec l’enseignant en question », conseille Patrick Lancksweerdt. « Il est important d’appliquer la méthode No Blame: discuter du problème sans blâmer l’autre. Souvent, ­malheureusement, ça ne suffit pas. Il existe alors au sein de l’école des organismes auxquels l’élève peut ­s’adresser: un médiateur, un conseiller d’orientation, un titulaire ou la direction. Le principe pour eux –  et pour nous en tant que psychologues scolaires  – est toujours le même: si un élève affirme qu’il a un ­problème, qu’il est traité injustement ou victime de harcèlement, il ne sert à rien d’essayer de le convaincre que ce n’est pas le cas. Il faut chercher les faits: que se passe-t-il et pourquoi l’élève le voit-il ­ainsi? L’étape suivante peut consister à confronter le professeur, en utilisant à nouveau la méthode No Blame. Souvent, cela suffit à renforcer la vigilance du professeur en question. Dans la plupart des cas, ce n’était pas intentionnel et le professeur n’en était pas conscient. Dans les cas extrêmes et exceptionnels où le professeur nie tout et que son comportement se poursuit, une action plus sévère est nécessaire. »


Quelle procédure?

Lorsque les parents ont rencontré l’enseignant, si cela n’a pas donné de résultat, ils doivent s’adresser à la direction et en dernier recours au pouvoir ­organisateur (PO). Une réunion pourra être fixée entre un ou des ­représentants du PO et les parents. Selon ­Patrick Lancksweerdt, les écoles ont fait de grands progrès dans la lutte contre le harcèlement ces vingt dernières années. « Un gros travail a été réalisé, avec de beaux ­résultats. Cela ne veut pas dire que ça ne se produit plus, loin de là, mais les écoles et les ­enseignants sont devenus plus vigilants et savent mieux ­comment y faire face. » Malheureusement, il arrive encore qu’un·e élève victime de ­harcèlement ne soit pas ­entendu·e par le personnel ou la direction de l’école. Vous pouvez contacter l’asbl Théracommuni qui lutte contre le harcèlement ­scolaire. Elle propose des ­ateliers dans les écoles et à destination des parents et des formations. Elle ­travaille aussi à sensibiliser
le grand public à cette ­problématique. Son site, ­stopharcelement.eu, ­regroupe des conseils pour les jeunes, les enseignants et les parents. Il permetde discuter par chat avec une personne de confiance et reprend tous les contacts utiles, dont le 103, pour ­parler en tout anonymat, de 10 h à minuit, 7 jours sur 7, et le 0800/95 580, numéro vert gratuit pour les ­parents d’élèves touché·e·s par la violence scolaire,du lundi au vendredi de 9 h à 16 h.

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