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FAUT QU’ON PARLE: ““jouir”” lors d’un viol, un tabou à lever

La rédaction

Attention: cet article traite de violences sexuelles. Il peut provoquer des sensations inconfortables et de l’anxiété. Si vous ne le sentez pas, je vous suggère de retourner à une activité qui vous fait du bien. N’hésitez pas à contacter un·e professionnel·le de la santé mentale.

C’est un sujet extrêmement tabou, difficile à aborder avec les mots justes. Un sujet qu’on laisse sous silence parce qu’il est trop inconfortable à décortiquer. Mais c’est aussi un sujet qui, lorsqu’il est abordé, n’est pas pris sous le bon prisme.

Combien de fois n’avons-nous pas entendu des phrases d’une violence inouïe du genre “s’il·elle a pris du plaisir, c’est pas si grave”. Cette phrase remet en cause le crime en lui-même et la responsabilité de l’agresseur. Laisser entendre ces absurdités grave à tout jamais dans le corps des victimes de violences sexuelles de la honte et de la culpabilité. Deux émotions qui peuvent également empêcher d’avancer parce qu’elles laissent une sensation de flou sur les responsabilités de chacun·e.

En tant que sexologue formée aux trauma, il me semble essentiel de lever le voile sur ces croyances paralysantes en amenant des éléments scientifiques et une terminologie plus adéquate à ce qu’il se passe réellement dans le corps des êtres humains lorsqu’il subit des violences sexuelles. Raison pour laquelle le mot “jouir” dans le titre est entouré de guillemets. Et c’est le premier point que je vais aborder. Mais avant ça, plongeons-nous d’abord dans les réactions physiologiques face à un événement stressant.

Fight, freeze ou flight

Vous n’êtes pas sans savoir que le corps humain est un système complexe et que pour le comprendre précisément, il faut déjà avoir un solide bagage en biologie, chimie, psychologie, etc. D’ailleurs, les recherches continuent d’amener de nouveaux éléments surprenants et fascinants sur le fonctionnement de l’humain dans sa globalité, preuve qu’on ne connaît pas encore tous ses mécanismes. Partons donc d’un constat basique: le corps humain est en perpétuel mouvement. S’il s’arrête (de respirer, de manger, de faire battre le coeur, etc.), il meurt.

Notre cerveau est donc conçu pour envoyer les bons signaux au bon moment afin de réagir de la meilleure des façons face aux modifications de notre environnement qui provoquent du stress. Il fera tout ce qui est possible pour nous protéger d’un risque de mort, allant jusqu’à prévoir à l’avance toutes les situations qui pourraient se présenter. Quand la situation qui survient n’est pas prévisible, il y a présence de stress et les signaux d’alarme s’enclenchent. On ressent alors de la peur qui nous indique de fuir, de la colère qui nous invite à nous battre, bref: une émotion accompagnée de toutes sortes de phénomènes physiologiques qui préparent le corps. Sous l’effet du stress, le cerveau envoie de l’adrénaline et d’autres substances et coupe les paramètres qui ne sont plus vitaux au moment-même. Ce n’est pas le moment de sentir la faim ou la soif par exemple, le corps a besoin d’être dédié à la gestion du stress. Le but: retrouver le plus vite possible du confort corporel sous peine d’atteindre les fonctions vitales.

Face à un stress qui survient, trois façons de réagir se manifestent: le fight (on se bat, on fonce), le flight (on fuit) ou le freeze (on est paralysé·e, comme les souris qui font les mortes entre les pattes du chat). En fonction des situations, le cerveau choisira, tel un réflexe incontrôlable par la raison, celui des trois qui vous laisse le plus de chance de survie.

Il s’agit déjà à cette étape d’un élément sur lequel la personne n’a aucun contrôle. C’est-à-dire qu’on ne peut pas choisir à l’avance comment on va réagir. Ces mécanismes de réponse au stress sont les mêmes chez les animaux.

Aussi, quand le stress est trop grand, à la limite de l’invivable, le cerveau n’a d’autres choix que de mettre en place des protections supplémentaires. Ces protections sont largement entendues dans les témoignages de personnes qui ont vécu un trauma: impression d’avoir été projeté·e au plafond, de voir la scène de l’extérieur, anesthésie physique et/ou émotionnelle, sensation que ce n’est pas la réalité, éclats de rire, distorsion temporelle, etc. Lorsque ces protections subsistent après l’événement, on parle de PTSD, syndrome de stress post-traumatique. Cet état peut durer très longtemps s’il n’est pas pris en charge et laisse apparaître des symptômes extrêmement difficiles à gérer dans le quotidien: cauchemars, flashback, somatisation, etc. Je ne vais pas m’y attarder ici mais je tiens quand même à vous donner deux pistes si vous pensez en souffrir: l’EMDR et l’hypnose PTR.

Lire aussi: Comment savoir si on a vécu un traumatisme?

L’impression de plaisir et le viol

Vous l’aurez compris, face à un stress vital, le corps est en alerte maximale. C’est tout un système qui s’emballe et qui est identifiable par des signaux clairs: accélération du rythme cardiaque, de l’afflux sanguin, de la respiration, sudation... Des signaux provoqués par la peur mais qui sont aussi les mêmes que ceux qui se déclenchent lors de l’excitation sexuelle.

L’afflux sanguin étant plus important que d’habitude, il va aussi irriguer intensément la zone génitale. Le corps réagit, parce qu’il est bonne santé et qu’il fonctionne bien. La réaction normale d’un corps en santé est de lubrifier face à des signaux d’excitation physiologique (afflux sanguin, rythme cardiaque, etc), excitation qui n’est donc pas contrôlable non plus.

Si en plus de cette pulsation sanguine, on ajoute un contact physique d’un corps étranger qui exerce des pressions ou des frottements, l’emballement du système nerveux s’intensifie. Et que se passe-t-il quand on est terriblement sous pression? Il faut la relâcher. Comment le corps relâche-t-il la tension due à une excitation au niveau de la zone génitale? En provoquant une décharge d’hormones qui permet de ramener du calme dans le corps. Dans le cadre des rapports sexuels, on appelle ça un orgasme. Sauf qu’un orgasme est associé à des notions de bien-être et de plaisir. Dans le cas de violences sexuelles, le contexte n’est pas un contexte de bien-être: c’est un contexte de coercition. Il n’y a pas de “rapport” sexuel: la violence est imposée. La sexocorporelle (une branche de la sexologie) préfère donc utiliser le terme orgaste, pour qualifier cette décharge naturelle mise en place par le cerveau pour diminuer la pression.

Vous comprendrez dès lors que de nombreux termes utilisés pour qualifier des réactions corporelles à des violences sexuelles ne sont pas corrects.

Il n’est pas question de plaisir, de bien-être, de jouissance, de le chercher, d’en avoir envie secrètement, et toutes les horreurs qu’on peut entendre et qui ne participent qu’à une chose: ajouter un second trauma aux victimes.

Parce qu’en plus du trauma du viol ou de l’agression sexuelle, elles doivent dealer avec une honte et une culpabilité immenses. Deux émotions qui sont entretenues par des discours inadéquats tenus par des personnes qui n’ont juste pas compris de quoi il s’agit réellement. Elles empêchent une reconstruction et laissent un sentiment d’avenir bouché.

Un viol n’a rien à voir avec la sexualité. Un viol, c’est un crime.

Parce qu’en n’en parlant pas assez, on laisse les survitant·e·s de violences sexuelles dans l’ignorance et dans la violence y compris envers elles-mêmes;

Parce qu’il est temps de rendre du contrôle et du pouvoir à celles et ceux à qui on les a volés;

Parce qu’il est temps que la honte change de camp.

Vous avez été victime de violences sexuelles ou vous connaissez quelqu’un qui l’a été, ? Rendez-vous sur ce site via lequel vous trouverez des oreilles attentives pour vous aider. Vous trouverez également des points de repères et des numéros utiles sur SOSViol.be. Aussi, si vous des questions sur le sexe, les MST, les relations, le genre, ... jetez un oeil à Loveattitude.be.

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