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FAUT QU’ON PARLE: non, toutes les opinions ne se valent pas

Kathleen Wuyard

 Les Fêtes sont souvent l’occasion de voir des membres de la famille éloignée (au propre comme au figuré) et de réaliser à quel point leurs idées gravitent à des millions d’années lumières. Sauf qu’en 2018, la parole a été totalement décomplexée par les réseaux sociaux, et tout le monde estime avoir droit au chapitre, même les fascistes et les complotistes. Et c’est tragique.


Jusqu’il y a très récemment, certaines vérités, scientifiques, prouvées et établies, étaient indiscutables. Ceux à qui il prenait tout de même l’envie de les contester passaient au mieux pour des idiots, au pire, pour des fous. Les effets bénéfiques de la vaccination ayant été démontrés au cours des siècles, les originaux qui s’osaient à refuser la piqûre au prétexte que les vaccins rendaient plus malades que sains étaient considérés comme de drôles d’hurluberlus, du genre à potentiellement croire aussi que la terre était plate. Les partisans de complots gouvernementaux pour contrôler nos esprits étaient soupçonnés d’avoir simplement un peu trop joué aux Sims, tandis que les négationnistes en tout genre se voyaient couper la parole immédiatement, parce que quand même, il y avait des limites. Mais ça, c’était avant l’avènement des réseaux sociaux, ainsi que le souligne très justement Umberto Ecco.

Les réseaux sociaux ont donné le droit de parole à des légions d’imbéciles qui, avant, ne parlaient qu’au bar, après un verre de vin et ne causaient aucun tort à la collectivité. On les faisait taire tout de suite alors qu’aujourd’hui ils ont le même droit de parole qu’un prix Nobel. C’est l’invasion des imbéciles.


Et quelle invasion: ils sont partout, tout le temps, et particulièrement là où on ne les attend pas. Car avec eux est venue une véritable tempête culturelle, ouragan qui brasse de fausses sources d’information prétendument informées, qui discréditent les véritables médias, et laissent donc encore plus de place aux bavassages de personnes ayant trop de temps, beaucoup d’imagination et une passion pour le complot.

L’invasion des imbéciles


Rien que ces dernières semaines, j’ai été accusée d’être une “traîtresse à la solde des lobbies pharmaceutiques” parce que j’écrivais un article sur les dangers pour la collectivité de ne plus vacciner les enfants contre la rougeole (basé sur une alerte de l’OMS, et non un hypothétique pot-de-vin pharmaceutique imaginaire), et pire encore, on m’a taxée de fascisme, voire même d’être carrément une sympathisante d’extrême-droite parce qu’à l’approche des élections, j’avais rappelé les dangers des deux extrêmes politiques, tant à droite qu’à gauche. C’est qu’en 2018, le fameux point Godwin, qui veut que “plus une discussion en ligne dure longtemps, plus la probabilité d’y trouver une comparaison impliquant les nazis ou Adolf Hitler s’approche de 1”, est plus d’actualité que jamais. Que quelqu’un ait l’audace de s’opposer à une opinion défendue avec verve par l’un ou l’autre troll (“Macron a commandité l’attentat de Strasbourg! Les vaccins rendent autiste! Les Illuminati contrôlent le monde ET votre cerveau!”) que l’on se voit qualifié de nazi de la communication, en faveur de l’extermination de la liberté d’expression. Sauf que qui dit liberté dit toujours limite, droits, et devoirs, et avoir la liberté d’exprimer ses opinions n’équivaut pas à un droit à les matraquer de force à des personnes influençables ou au contraire, parfaitement désintéressées.

Attaque des trolls


D’autant qu’en affirmant que tout le monde a le droit à la parole, sur n’importe quel sujet, et quelle que soit son opinion, on va vers des dérives dangereuses, dont Nicole Parsons a fait les frais. Après avoir vu une croix gammée dessinée autour d’un panneau souhaitant un “Joyeux Hannukah” aux étudiants, Nicole, une élève de première année à l’université d’Amherst, dans le Massachusetts, a décidé d’envoyer un message à l’auteur de ce swastika. En l’occurence, d’afficher bien visible dans la fenêtre de sa chambre dominant le campus, un signe proclamant “allez vous faire foutre les nazis, vous n’êtes pas les bienvenus ici”. Passionné, certes, un peu naïf, peut-être, mais rappel nécessaire qu’on ne dessine pas des croix gammées, et certainement pas sur un message d’Hannukah. Sauf que l’administration universitaire ne l’a pas vu de cet oeil là, et a envoyé un rappel à l’ordre à Nicole.

Certains élèves se sont plaints que votre panneau ne les faisait pas se sentir bienvenus sur le campus. Nous vous demandons de l’enlever, afin que tous les étudiants puissent se sentir à l’aise et avoir une expérience inclusive à l’université.


Et Nicole d’ajouter, désabusée, que clairement, “l’université se préoccupe plus des sentiments de Néo-nazis que de la sécurité de leurs étudiants juifs”. Bienvenue en 2018, où le négationnisme n’est plus puni mais presque encouragé, et où l’opinion qui prévaut n’est pas celle prouvée, raisonnable et rationnelle, mais simplement celle avancée par la personne qui parle le plus fort. Si à l’heure d’aujourd’hui, les conspirationnistes semblent n’avoir pas encore remis en question le fait que la terre soit ronde, une chose est certaine: elle ne tourne plus rond.

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