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Pourquoi la pensée positive ne vous aidera pas à être heureux

Justine Rossius

« Ça va aller », « Sois positive », « Vois le bon côté des choses ». Et si ces marques d’encouragement étaient contre-productives ? À trop grosse dose, l’optimisme peut avoir des effets néfastes sur notre état mental. C’est ce qu’on appelle la positivité toxique.


 

« J’ai une amie, appelons-la Coline, qui ne supporte pas de me voir triste » raconte Camille, 29 ans. « Dès que je me confie à elle, que je lui dis que je suis en train de pleurer et que je me trouve nulle, elle me secoue, me dit que je suis forte et que je ne peux pas être triste. Je sais qu’elle veut bien faire et qu’elle fait ça pour mon bien, mais au final, je finis par avoir moins envie de solliciter son aide. Il m’arrive même de lui mentir quand elle me demande si je vais bien, juste par peur de la décevoir. Elle me fait me sentir honteuse d’être malheureuse ». Ce que Camille exprime là, c’est presque la définition de la positivité toxique. Pour Marie-Cécile Remy, psychologue clinicienne, les commentaires que reçoit Camille de la part de son amie Coline sont en fait des injonctions à l’être.

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Demander à quelqu’un d’être positif, c’est comme lui demander d’être spontané : on ne peut qu’échouer à un tel exercice.


Tenter d’influencer notre mental serait donc non seulement inefficace, mais même contre-productif. De quoi donner envie de reclaper illico tous les bouquins de développement personnel qui prônent la pensée positive.

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La fonction essentielle des émotions


Quand Coline demande à Camille d’être positive et d’arrêter d’être triste, elle lui demande inconsciemment de ne pas ressentir les émotions négatives, telle la tristesse. Ce qu’elle oublie en s’exprimant de la sorte, c’est que les émotions ont une fonction pour l’être humain. « Les émotions désagréables ont une fonction adaptative : elles nous indiquent une faiblesse. Elles sont comme une boussole et nous disent des choses sur nous. Par exemple, la colère et son cortège de réactions physiologiques nous montrent qu’il y a une intrusion dans notre territoire ; que cette intrusion soit réelle ou symbolique d’ailleurs. Elle montre que quelqu’un a franchi une limite » explique Marie-Cécile Remy. « En évitant de ressentir des émotions, on évite aussi d’ajuster nos comportements en fonction de ce qu’elles disent de nous et de nos besoins, notre identité et nos valeurs. La positivité à outrance nie la fonction adaptative des émotions. » Nier le ‘déplaisir’, ça reviendrait à nier l’interaction entre l’individu, nous, et son environnement, soit les problèmes qu’on rencontre tous et toutes de temps à autre. Et ça reviendrait aussi à dire que nous sommes tous responsables de ce qu’on ressent. Une archi-fausse croyance, nous dit l’experte.

 

Bonjour tristesse


En pensant qu’on est responsable de notre bonheur, on se dit aussi qu’on est responsable… de notre malheur. Résultat ? Cette culpabilité, qui va souvent de pair avec la positivité, et que Camille exprime si bien : « Quand Coline me dit que tout va bien, et que je n’ai pas le droit d’être triste, car j’ai des bons amis, la santé, une famille aimante et un toit, je culpabilise de me sentir mal. C’est comme si la culpabilité venait s’ajouter à tout le reste pour me faire me sentir encore plus nulle ». Cette ‘lasagne’ des émotions est précisément ce qu’il faut éviter en cas de coup de mou, nous explique la spécialiste : « Il ne faut surtout pas ajouter une autre émotion à l’émotion présente : la culpabilité, par exemple, ne sert à rien quand on est malheureux. Au contraire, elle va retarder le processus de régulation naturelle des émotions. C’est pourquoi on dit souvent que pour aller bien, il faut être à l’écoute de ses émotions, se laisser traverser par celles-ci sans essayer de nager à contre-courant : le cerveau se charge de les réguler. » L’image est plutôt limpide : en tendant les bras à sa tristesse, en ne lui fermant pas la porte et en ne lui bloquant pas le chemin, on lui permettrait de passer plus vite. Tout simplement ! « Quand on pleure, on fait de la place dans notre cerveau. On fait le tri pour faire émerger de nouvelles émotions. Si on évite de pleurer, on va réactiver l’émotion de la tristesse à chaque fois qu’on sera confronté à nouveau à un déclencheur. Si on pleure, on intègre cette réalité, ce qui permet de l’aborder plus sereinement si elle se représente. » Essayer à tout prix de garder le smile alors qu’on a juste envie de chialer comme un bébé, ce serait comme accumuler de plus en plus de brol dans sa maison : pour faire le ménage, il faudrait tout passer une bonne fois à la javel, soit pleurer une bonne fois à chaudes larmes!

 

Le spleen n’est plus à la mode, c’est pas compliqué d’être heureux


« J’ai ce pote qui voit toujours les choses positivement » nous raconte Samuel, 33 ans. « C’est limite insupportable de lui raconter un truc badant qui m’est arrivé car il va toujours voir du positif là où, franchement, il n’y en a pas. À la limite, moi, ça ne me pose pas de problème, mais le souci, c’est qu’il fait la même chose avec ses propres problèmes… à l’abus. S’il lui arrive un truc horrible, genre sa nana qui le trompe, il va relativiser et pardonner trop facilement, sans montrer le moindre signe de colère. » Le pote de Samuel est-il un grand sage, qui a tout compris à la vie ? Cette positivité est-elle sa plus grande qualité, ou au contraire son plus gros démon ? Car souvent, les personnes qui nous répètent d’aller bien sont aussi celles qui ont le plus peur d’aller mal… « Cette stratégie est inefficace » affirme Marie-Cécile : « Les émotions s’accumulent et augmentent la détresse.

Les personnes qui évitent à tout prix les émotions désagréables ont peur de rester bloquées dedans. Elles ne veulent pas souffrir et ne sont pas à l’aise avec les émotions moins confortables. Or, les émotions négatives font partie de la vie.


Cela peut être dû à un schéma parental : des familles chez qui la sensibilité était aveu de faiblesse, où il ne fallait jamais pleurer, etc. Ces personnes ont l’impression qu’elles peuvent passer outre des événements douloureux en faisant semblant qu’ils n’existent pas ». Sauf que malheureusement, ce n’est pas si facile ! Comme nous l’a justement clarifié l’experte, les émotions sont incontrôlables. Quand on explique ce qu’elles sont aux enfants, les instituteurs utilisent en général la métaphore de la météo intérieure. La tristesse serait tout aussi incontrôlable par le commun des mortels qu’une grosse drache belge. Et de la même manière qu’il ne pleut jamais éternellement (bon, parfois un peu c’est vrai), on ne peut jamais rester bloqué éternellement dans une émotion. Cette peur est irrationnelle. Nier l’émotion, ça revient à sortir sous la pluie sans parapluie en faisant semblant qu’elle n’existe pas: on se retrouve plus trempé que si on avait juste attendu que ça passe…

 

Apprendre à penser positif voir le positif


Mais que dire alors à un proche qui broie du noir ? Comment le consoler sans lui dire que tout finira par aller ? La positivité est finalement une réaction naturelle pour consoler quelqu’un. « La positivité en tant que telle n’est pas négative, mais elle devient toxique dès lors qu’elle devient la seule et unique façon de réagir à un événement. » Le souci, nous explique Marie-Cécile, c’est lorsque l’injonction se situe uniquement sur la pensée, comme quand on somme à quelqu’un d’arrêter d’être triste. « Avec ce genre de message, on développe la honte d’être soi. On se dit qu’on n’a pas le droit de ressentir de qu’on ressent, ça augmente le stress et ça coupe la connexion à soi. Tout est dans la juste mesure ». Car l’optimisme peut aussi avoir du bon, bien sûr, mais il s’agira alors de développer cette capacité chez la personne, en l’invitant à se focaliser sur des événements positifs. « C’est là que se situe la différence entre les personnes optimismes et pessimistes : le cerveau des personnes pessimistes va se focaliser sur les des éléments négatifs, qui représentent potentiellement un danger là où les personnes optimistes verront davantage les éléments positifs. » Mais si on est pessimiste, peut-on devenir optimiste d’un coup de baguette magique ? Le cerveau est-il vraiment un muscle que nous devrions simplement envoyer à la salle de fitness du bonheur ?  Peut-on ‘devenir positif’ comme on le lit dans nombre de bouquins de développement personnel ? « La plasticité cérébrale existe » nous rassure Marie-Cécile. « On peut entraîner son cerveau à percevoir des événements différents que ce qu’il perçoit naturellement dans l’environnement. Des événements qui nous font ressentir des émotions positives par exemple ». Ainsi, lors d’une promenade en rue, les optimismes verront des sourires sur les visages là où les pessimistes ne verront que des sourcils froncés. L’idée, pour éviter la positivité toxique, serait de ne pas dire aux personnes qui vont mal que les sourcils froncés n’existent pas… Mais plutôt de les inviter à percevoir les sourires. Même si, il est vrai, 2020 et ses masques n’aident pas à les remarquer!

 

3 conseils pour consoler un proche qui va mal

  • « Soyez à l’écoute et le moins directif possible lorsqu’il s’agit d’émotions. Il faut conseiller par le questionnement, c’est-à-dire en demandant à l’autre personne ce qu’elle ressent et de quoi elle a besoin. »
  • « Faites-la revenir dans l’ici et maintenant. Si on ne peut pas contrôler ses émotions, on peut, par contre, avoir une influence sur nos ressentis physiques et nos actions. Si vous savez que votre amie adore le cinéma, vous pouvez lui proposer de l’y emmener. Si elle adore le chocolat, pourquoi ne pas lui cuisiner des cookies. De cette façon, vous ne niez pas l’émotion qu’elle ressent, vous ne prétendez pas la faire disparaître : mais vous améliorez l’ici et maintenant de la personne. »
  • « Ne pensez pas que ce qui fonctionne sur vous va fonctionner chez l’autre : vous avez peut-être besoin de vous balader au grand air quand vous allez mal mais ce n’est peut-être pas le cas de votre copine, qui adore écouter de la musique dans sa chambre par exemple. »

Vers le site web de Marie-Cécile Remy.

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