Il a trouvé ma nouvellle immature mais prometterse
Romancière Qui aurait cru ça? Moi, en fait. J’en ai toujours, plus ou moins secrètement, rêvé. Cette rubrique est pour moi une bonne façon de coucher sur papier mes coucheries (sur toutes surfaces). Sans rire, cette page dans Flair a injecté en moi le virus de l’écriture. Depuis ces deux ans et demi de rédaction hebdomadaire, je me dis chaque semaine que, si je le pouvais, je passerais ma vie à écrire. A vivre, et à écrire ce que j’ai vécu. Or, le “si je le pouvais” de l’avant-dernière phrase s’est concrétisé, lundi à la première heure. J’ai reçu un appel d’Espagne, un éditeur à qui j’avais envoyé des textes, il y a deux ans, a visiblement fait le ménage dans ses dossiers. Le Señor Gazcon est retombé sur une nouvelle, écrite par mes soins (et à grand peine), dans la langue de Cervantès. Et il s’est mis en tête de me retrouver depuis Madrid en appelant la boîte pour laquelle je travaillais à l’époque.
Call-girl
Voici les extraits (traduits en exclusivité pour vous) de notre conversation
Le GSM sonne:
– Lola (sortant de sa douche en culotte): “Yep!”
– Sr. Gazcon: “Mademoiselle Lola?”
– Lola (dégageant ses cheveux mouillés et prenant le ton de quelqu’un qui n’est pas en culotte au téléphone, au milieu d’un appartement en chantier): “C’est moi.”
– Sr. Gazcon (enjoué): “Lola, je suis Pablo Gazcon des Editions Les Abymes. Vous m’avez envoyé une nouvelle intitulée Oisive et volage en novembre 2004. Vous vous souvenez?”
– Lola (enrouée): “Ou , hum Oui!”
– Sr. Gazcon: “Je voulais vous dire que j’ai trouvé la nouvelle immature, mais prometteuse. Je voudrais savoir si vous avez continué à écrire.”
– Lola (rouge pivoine, s’apercevant en culotte dans le miroir en pied): “Heu, oui.”
J’explique que j’ai écrit une dizaine de nouvelles depuis et je parle de la rubrique sur “ma vie affective et sexuelle dans un excellent magazine féminin belge”. Et cela l'”intéresse beaucoup”, le Señor Gazcon! Il voudrait savoir si je peux lui faire parvenir rapidement une sélection de nouvelles et de rubriques. Je promets, je raccroche, abasourdie, et me mets à sauter comme une possédée sur mon pauvre fauteuil qui n’a pas mérité ça.
L’attente
Je fais surchauffer l’imprimante et farfouille dans des dizaines d’anciens Flair, je demande l’avis de mes collègues sur les épisodes des “expériences” qui leur ont particulièrement plu En une matinée, je concocte un book de cinq rubriques et deux nouvelles. Je prends congé le mardi pour m’atteler à la traduction en espagnol de cet échantillon. Mercredi matin, une épaisse enveloppe de kraft part vers les Editions Les Abymes et mon cur cesse de battre. Peter regarde de loin mon enthousiasme, content pour moi, mais un peu inquiet de me voir si emballée par autre chose que sa petite personne. Je fais de mon mieux pour lui manifester de l’attention, mais je ne peux m’empêcher de penser à un autre, le Señor Gazcon. Je ne l’ai jamais vu, mais il pourrait radicalement changer ma vie.
Et ça, c’est un peu comme quand on tombe amoureuse, non? Mon état depuis mercredi est assez comparable à cette fièvre, où l’on oscille de l’impatience colérique à la pamoison, lorsqu’un homme doit nous rappeler. Ces périodes où chaque seconde, les yeux rivés sur l’écran du GSM, semble plus longue qu’un film d’auteur japonais. Un simple appel et je reprendrai mon souffle, comme après une trop longue apnée. Appelle-moi, Pablo, je le veux! Je ne dors pas, je ne mange pas: je pense à ce coup de fil. Je tremble, je rêve. J’espère que vous ne devrez pas me ramasser à la petite cuillère dans la rubrique de la semaine prochaine?