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© Young woman at home in Barcelona

Les fêtes de fin d’année sont indigestes pour qui souffre de troubles alimentaires

Kathleen Wuyard

Anorexie, boulimie, hyperphagie, orthorexie... Les troubles alimentaires se suivent et ne se ressemblent pas, mais ce qui les rassemble est la difficulté pour les personnes qui en souffrent d’aborder la période des fêtes de fin d’année sans noeud à l’estomac.

D’aussi loin qu’elle s’en rappelle, Marine a toujours souffert d’hyperphagie, bien qu’il lui ait fallu de nombreuses années avant de mettre un nom sur le trouble qui la rongeait. D’abord persuadée d’être juste très (très) gourmande, puis simplement dotée d’un appétit insatiable, elle a ensuite cru être atteinte de boulimie pendant longtemps, les deux troubles alimentaires étant souvent confondus dans l’imaginaire populaire.

Sauf que contrairement à une personne boulimique, qui aura tendance à immédiatement régurgiter les aliments avalés, Marine, elle, garde tout.

Les crises ont commencé quand j’étais toute petite et que je faisais de la gymnastique. Sans être grosse, j’étais moins fluette que les autres petites filles de ma classe, et notre coach ne manquait jamais une occasion de me le rappeler devant tout le monde. Dès mon plus jeune âge, la nourriture est devenue une double peine pour moi, à la fois un poison à éviter à tout prix pour ne pas avoir l’air disgracieuse dans mon maillot de gym, et un réconfort en cas de chagrin ou de stress”.

Si aujourd’hui, à l’âge adulte, ses crises d’hyperphagie sont relativement sous contrôle, la jeune femme, qui n’a plus fait de gym depuis l’adolescence et travaille aujourd’hui dans le secteur créatif, a toujours des rechutes épisodiques. “La dernière en date, c’était après une journée hyper stressante au boulot où deux membres de mon équipe ont été licenciés. J’ai beau ne travailler qu’à vingt minutes de voiture de chez moi, le temps du trajet, après un arrêt express à la pompe à essence, je me suis enfilée un paquet de saucissons secs, un paquet “famille” de Haribos et un paquet de Doritos”. Et si l’évènement remonte aujourd’hui à plusieurs mois, sans rechute depuis, pour Marine, comme chaque année, le mois de décembre est un enfer.

Que j’allume la télé ou que je feuillette un magazine, sans parler de la moindre conversation, tout est source de pression, entre les cadeaux à trouver, la tenue, les préparatifs, et en prime, tout le monde ne fait que parler de nourriture. C’est difficile pour moi, parce que ça finit immanquablement par moi qui m’enfile tout mon calendrier de l’avent en un coup, avec un chips pour faire passer le tout”.

Et Marine est loin d’être la seule dans le cas, car si les troubles alimentaires sont multiples, l’angoisse provoquée par la période des fêtes est commune à la majorité des personnes qui en souffrent, qu’elles aient des crises d’hyperphagie comme Marine ou bien qu’elles soient orthorexiques, comme Lucie.

Les fêtes, la fête des troubles alimentaires?

Pour cette jeune avocate d’une trentaine d’années, tout a commencé au moment de sa remise de diplôme il y a six ans. “Entre les guindailles et la junk food et autres bonbons engloutis pendant les bloques pour tenir le coup, j’avais pris près de 10 kilos entre ma première année et mon deuxième Master” se souvient-elle. Désireuse de se sentir légère au moment de lancer son mortier dans les airs avec le reste de sa promo, Lucie entame alors un régime basé sur le comptage strict des calories ingérées. Une fois les dix kilos voulus perdus, elle continue à effectuer un décompte journalier “pour ne pas reprendre de poids”, et six ans plus tard, ayant découvert entretemps une app’ lui permettant de comptabiliser calories ingérées et dépensées et comptant le moindre pas, elle l’avoue: Lucie est devenue orthorexique.

C’est horrible, parce que la période actuelle me rend folle. J’encode évidemment chaque bouchée, et je fais attention à ne pas dépasser la quantité journalière de calories que l’app’ m’alloue, mais parfois, je me convaincs que ce n’est pas possible que j’y arrive alors même que je mange un petit chocolat par-ci ou une poignée de chips par-là”.


Résultat: la jeune femme part alors dans des spirales de plusieurs jours où elle enchaîne snacks et nourriture grasses “parce que de toute façon, foutu pour foutu, autant rien ne me refuser”. Comme Lucie et Marine, nombreux sont ceux et celles pour qui la période des fêtes est tout sauf une fête, justement, le mois de décembre pouvant faire office de champ de mines pour les personnes souffrant de troubles alimentaires.



Une problématique dont on est bien conscient du côté de la clinique neuropsychiatrique liégeoise Notre Dame des Anges, où l’on traite, entre autres, des troubles du comportement alimentaire, on confirme que la période est particulièrement compliquée à gérer pour deux raisons.

D’abord, parce qu’en décembre, depuis la Saint-Nicolas jusqu’à l’apéro du 31, tout, absolument tout, tourne autour de la nourriture. Une nourriture souvent très grasse, sucrée et salée, qui constitue souvent un “trigger” pour les personnes souffrant de TCA. Difficile en effet de contrôler ses pulsions quand non seulement la moindre pub invite à s’acheter du chocolat ou autres friandises mais qu’en prime, on vous en offre”.


“Autre problème: la période des fêtes met l’accent sur le rassemblement avec ses proches, ce qui est particulièrement compliqué cette année, et peut être source d’angoisse, sans oublier les personnes pour lesquelles les relations interpersonnelles sont déjà source de tensions internes. Des tensions qui poussent à aller chercher une illusion de réconfort dans la nourriture, ou bien une illusion de contrôle en refusant de s’alimenter ou en se forçant à régurgiter les aliments ingérés”. Du côté de Feeleat, une plateforme en ligne dédiée à se réconcilier avec l’alimentation, on rappelle que cette panique saisonnière est normale, puisque “lorsqu’on souffre d’un trouble alimentaire ou d’une maladie digestive, toutes les fêtes familiales peuvent se révéler être de véritables moments d’angoisses”, rythmés par mille questions intrusives qui ne laissent pas votre esprit tranquille.

Qu’est-ce qu’il y aura au menu? Est-ce que je vais trop manger? Ou pas assez? Est-ce qu’on va me juger sur mes portions? Est-ce que je vais tenir le plan mis en place avec mon/ma nutritionniste?


Autant de questions qui ont le don de nouer le ventre et de rendre la période ultra indigeste pour les personnes souffrant de troubles alimentaires.

Mettre la nourriture de côté à Noël


La solution? Pour l’équipe de Notre Dame des Anges, le plus important, c’est de prendre conscience que vous n’êtes pas seul.e face à ses angoisses, et de “partager ses peurs avec son équipe soignante et/ou avec ses proches, et ne pas culpabiliser: c’est la maladie qui est à la source de vos angoisses, et vous n’en êtes pas responsable”. La rédaction de Feeleat enjoint elle à se fixer un objectif, même minime.

À celles et ceux pour qui manger est difficile, peut-être se fixer de goûter un peu de bûche ? À celles et ceux qui au contraire ont peur de trop manger, pourquoi ne pas se mettre un objectif de partager son paquet de chocolat avec ses proches ? Soyez bienveillants envers vous-même et profitez tout de même du moment”.


L’association Enfine, créée par Catherine Calippe il y a 21 ans après le décès de sa soeur anorexique, insiste de son côté sur la nécessité de relativiser. “Oui, il risque d’y avoir des moments d’anxiété pour les personnes souffrant de troubles du comportement alimentaire, des moments de gêne pour les proches qui ne savent pas comment parler à la personne en question sans risquer de la froisser, des moments de culpabilité pour les parents peut-être. Il faudra malheureusement faire avec. Mais il n’y aura bien heureusement pas QUE ces moments désagréables”. Et de partager cette phrase, à se répéter comme un mantra bienveillant en cas de pic d’angoisse: “à Noël, cette année, mettons la nourriture de côté”.

Et si vous vous reconnaissez dans les récits de Marine et Lucie ou que vous devez faire face à un autre trouble du comportement alimentaire qui vous ronge en cette période, n’hésitez pas à en parler. Au 067 22 21 20, vous pourrez parler à des personnes aptes à vous aider si vous souffrez d’anorexie ou de boulimie. Des centres de soin sont également repris ici, et vous pouvez participer aux échanges de ce forum d’entraide pour personnes souffrant de troubles du comportement alimentaire. 

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