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euthanasie
© Dupe

À CŒUR OUVERT: « Mon vœu pour 2026? Qu’on me laisse mourir dignement »

Julie Bourgeois

Après plus de 10 ans de souffrances psychiques insupportables, Sara, 25 ans, se bat non seulement contre sa douleur, mais aussi pour son droit à l’euthanasie, dans l’espoir de trouver enfin la paix. «Ce n’est pas un cri pour attirer l’attention. C’est ma réalité quotidienne. » Rencontre émouvante avec cette femme forte.

Le 5 avril 2025, j’ai eu 25 ans. Un âge où la plupart des gens regardent vers l’avenir, font des projets et poursuivent leurs rêves. Pour moi, un tel futur est devenu inaccessible depuis longtemps. Je vis depuis plus de 10 ans avec des souffrances psychiques insupportables, à un point tel qu’elles dépassent chaque jour ma capacité à les supporter. Le désir de mourir que je ressens depuis des années n’est pas un coup de tête, mais le résultat d’un long et difficile processus marqué par différents traumatismes. Vers mes 6 ans, mes parents se sont séparés. Ça a été une période difficile, même si, au début, j’ai ressenti une sorte de soulagement et que j’en voyais les avantages. J’étais contente que les disputes cessent et je me mettais à rêver de 2 maisons, 2 chambres et 2 fêtes d’anniversaire. Au départ, cette idée me rendait même heureuse, mais très vite, j’ai commencé à me sentir de plus en plus mal dans cette situation.

En plus de ça, pendant mon enfance, je pliais déjà sous le poids de l’angoisse. J’avais très peur de l’échec, j’étais extrêmement peu sûre de moi et je souffrais d’une peur panique de la mort. Du moment où je me levais jusqu’au moment où j’allais me coucher, j’étais terrorisée à l’idée de mourir et je pensais sans arrêt à tous les scénarios possibles qui pourraient conduire à ma mort. À la longue, j’étais tellement effrayée que je n’osais plus dormir, de peur de ne pas me réveiller. J’ai fini par développer une grave privation de sommeil. Et les rares fois où j’arrivais malgré tout à dormir, je faisais des cauchemars horribles.

Ce désir de mourir n’est pas un coup de tête, mais le résultat d’un long et difficile processus marqué par des traumatismes »

Au fil des années, de plus en plus d’expériences sont venues s’ajouter et m’ont rendue toujours plus malheureuse, au point de devenir dépressive. À l’école primaire, j’ai été victime de harcèlement, et je me débattais énormément avec mon identité de genre. Pendant longtemps, j’ai cru que je voulais en fait être un garçon, et ça reste encore aujourd’hui un sujet difficile, dont seules quelques personnes sont au courant. En secondaire, le harcèlement a cessé, ce qui m’a offert un peu de répit. Mais peu de temps après, il s’est encore passé plusieurs choses qui allaient alourdir la situation.

“J’étais complètement brisée”

Pendant 3 ans, j’ai été abusée par une personne de confiance, ce qui a été extrêmement marquant. Même si je ne devais pas le cacher, je m’étais imposé de ne pas montrer mes sentiments à ma famille et à mes amis. Pour le monde extérieur, j’étais la fille joyeuse, l’enfant hyperactif qui faisait rire tout le monde. Je ne voulais pas perdre cette image, mais derrière ce masque, se cachait quelqu’un qui avait peur et était malheureuse depuis déjà très longtemps. Il n’y a pas un moment précis où il est devenu clair pour moi que mon désir de mourir ne disparaîtrait jamais. C’est quelque chose qui s’est construit au fil des années. À 6 ans, j’avais déjà du mal, même si, à cet âge-là, je ne pensais pas encore au suicide. Mais vers mes 11 ans – quand quelqu’un de mon entourage a choisi de ne plus être là – quelque chose a changé. Sa mort m’a profondément marquée. J’avais déjà souvent des pensées sombres et le sentiment que la vie était trop lourde pour moi, mais je n’avais encore jamais envisagé que je pouvais y mettre fin moi-même…

Le psychiatre qui avait donné son accord a dit que mon parcours devait être mis en pause. Ça me met en colère »

La recherche d’aide a finalement commencé en deuxième secondaire. En première, j’avais encore environ 90 % dans presque toutes les matières, mais en deuxième, j’avais de très mauvais résultats, au point d’être recalée. L’école a alors contacté mes parents, convaincue que quelque chose n’allait pas. Ils savaient que j’en étais capable,
mais que j’avais clairement vécu quelque chose que je n’avais pas digéré. Si j’acceptais de parler avec un professionnel, je pouvais quand même passer en troisième, alors j’ai décidé d’aller voir une psychologue. J’étais très fermée par rapport à mes problèmes et je me disais: ‘De toute façon, ils n’arriveront à rien soutirer de moi. J’irai au rendez-vous, et si je ne veux rien dire, je me tairai.’ Mais avec l’une des encadrantes scolaires, le déclic a été immédiat. Elle se souciait sincèrement de moi et elle est devenue la première personne de ma vie à qui j’ai vraiment osé dire ce que je ressentais. En réalité, elle dépassait un peu le cadre de sa fonction. Elle restait disponible pour moi même après les heures de cours et m’emmenait régulièrement à l’école. Mais un jour, en 2015, elle m’a appelée et m’a expliqué que le directeur l’avait convoquée et qu’elle devait rompre le contact avec moi.

À ce moment-là, mon monde s’est effondré. Elle était la seule à savoir quelque chose de ma souffrance et de mon désir de mourir, la seule avec qui je pouvais être moi-même sans masque, et soudain, elle disparaissait. (silence) Je n’arrivais plus à arrêter de pleurer, j’étais inconsolable et incapable de prononcer un mot. Ce soir-là, j’avais par hasard rendez-vous chez ma psychologue. C’est là qu’elle m’a dit qu’il était temps d’envisager une hospitalisation. J’étais complètement brisée. En fait, je n’étais plus une personne, mais juste du chagrin.

Pas encore au bout des traitements

Peu de temps après, j’ai vécu ma première admission. Le médecin que j’ai vu m’a dit que je devrais rester 2 semaines au maximum et que je pourrais ensuite rentrer chez moi, mais ces 2 semaines se sont finalement transformées en 5 mois. Cela n’a fait que renforcer mon sentiment que quelque chose clochait gravement chez moi.

Après cette période, je suis passée d’une hospitalisation à l’autre, et je devenais de plus en plus désespérée. Je me disais: ‘Je suis ici depuis tellement longtemps, et même ça, ça ne m’aide pas.’ À 15 ans, je me suis vraiment complètement effondrée. À ce moment-là, mon sac à dos était tellement lourd que j’avais l’impression de ne plus pouvoir porter tout ça. Toutes ces expériences réunies ont provoqué tellement de douleur psychique que je ne vois plus d’autre issue que de ne pas continuer à vivre.
Alors qu’avant, j’avais une peur extrême et que la peur de la mort me dominait, je trouve aujourd’hui bien plus de calme dans mon désir de mourir.


Pendant mes hospitalisations, certains soignants me disaient qu’à mes 18 ans je pourrais introduire une demande d’euthanasie pour souffrances psychiques insupportables. À ce moment-là, je n’avais que 16 ans et l’idée de devoir encore attendre 2 ans m’était insupportable. J’étais en crise en permanence et j’oscillais entre l’isolement, la contention (le fait de limiter la liberté de mouvement de quelqu’un lorsque sa sécurité est en jeu) et les injections. C’est pourquoi, 5 jours après mon 17e anniversaire, j’ai fait une tentative de suicide. Je suis passée tout près de la mort et j’en ai gardé de lourdes complications médicales. J’étais, par exemple, paralysée au niveau du ventre. Je peux de nouveau marcher aujourd’hui, mais seulement de manière très limitée. En plus, je souffre en permanence de douleurs physiques et, depuis, je ne peux plus aller seule aux toilettes…

Quand j’ai eu 18 ans, j’ai introduit une demande d’euthanasie, mais on m’a répondu que je n’étais pas encore au bout des traitements possibles. J’ai encore plus perdu courage, parce qu’on m’avait justement dit que je devais attendre mes 18 ans pour pouvoir demander l’euthanasie. Et quand j’ai enfin déposé cette demande, on m’a annoncé que ce n’était finalement pas possible.

Déclarée incapable de discernement

C’est donc un peu malgré moi que j’aientamé une hospitalisation dans une unité de traitement intensif, où je suis restée 1 an. J’ai suivi ce trajet une deuxième fois, à nouveau pendant 1 an, et ensuite, encore une fois pendant une période de 5 mois. Ce n’est qu’après ce long parcours que j’ai introduit une nouvelle demande d’euthanasie.

J’avais alors 23 ans, et cette fois, elle a été acceptée. Le psychiatre en question a estimé que j’étais au bout des traitements possibles et a donné son feu vert pour l’euthanasie. Mais au sein de l’UPC de la KU Leuven – où je suivais mon parcours – la règle veut qu’il faille avoir au moins 25 ans. Ils m’ont expliqué qu’ils étaient d’accord pour lancer la procédure, et que je verrais un psychologue régulièrement, afin de travailler ensemble vers une date. J’avais décidé que je voulais l’euthanasie le 5 avril 2025, le jour de mes 25 ans. Une fois l’autorisation en poche, je savais que j’avais besoin de l’accord de 2 psychiatres, ainsi que d’un médecin qui pratiquerait l’euthanasie. J’avais déjà l’aval d’un psychiatre et les 2 autres ne semblaient, au départ, poser aucun problème. Comme je n’avais pas encore 25 ans, il y avait encore suffisamment de temps pour qu’un médecin se prépare. Mais mon médecin généraliste de l’époque m’a fait miroiter ce que je voulais pendant presque 1 an, pour finalement me dire qu’il ne voulait pas le faire.

Pour moi, c’était comme si j’avais perdu une année, et je devais ensuite encore partir à la recherche d’un autre médecin. J’en ai contacté au moins 7, mais tous ont refusé parce que, selon eux, j’étais encore trop jeune ou parce qu’ils voyaient soi-disant encore un espoir. Alors que j’avais déjà le feu vert d’un psychiatre et qu’un deuxième n’aurait probablement pas émis d’objection, je restais bloquée sur cette étape indispensable: trouver un médecin prêt à réaliser l’euthanasie. Comme si ce n’était pas encore suffisant, j’ai été déclarée incapable de discernement 2 semaines avant mon 25e anniversaire. Le psychiatre qui avait déjà donné son accord a dit que mon parcours devait être temporairement mis sur pause, parce que, selon lui, les nombreuses crises montraient que je n’étais pas en état de réfléchir clairement.

Je ne pense pas à des projets d’avenir. Ma tête est uniquement occupée à survivre et à arrêter de souffrir»

Ça me met extrêmement en colère. Parce que ce sont justement ces crises et cette vie insupportable qui sont la raison pour laquelle je veux l’euthanasie. Et c’est précisément pour cette raison-là qu’on la reporte, alors que je dis clairement depuis si longtemps ce que je veux. Je ne peux pas, et je ne veux pas, comprendre ça.

Ce n’est plus une vie

Je suis en colère et triste. J’ai déjà eu tellement de coups durs, et chaque fois, quelque chose vient encore s’ajouter. Aujourd’hui, je suis toujours déclarée incapable de discernement et je suis actuellement internée contre ma volonté, même si je garde l’espoir que nous pourrons bientôt relancer la procédure et que je pourrai, grâce à l’euthanasie, mourir de manière digne.

Pour mon entourage, ce n’est évidemment pas simple non plus. Mes amis font de leur mieux pour me comprendre, mais ils ne connaissent pas toutes les raisons pour lesquelles je souhaite l’euthanasie. Pour mes parents, c’est extrêmement lourd, mais ils me disent qu’ils préfèrent que j’obtienne l’euthanasie plutôt que je mette fin moi-même à mes jours. Personne dans mon entourage ne veut me perdre, mais ils comprennent de plus en plus que l’euthanasie est la seule façon pour moi de trouver la paix.

Mes soignants, en revanche, gardent toujours espoir. Ils croient que je peux encore guérir, devenir heureuse et me construire un avenir. Mais ils ne savent pas ce que ça fait de devoir vivre ainsi. Chaque jour, je me réveille sans aucune force pour continuer. Tout ce que je voudrais, c’est me rendormir tout de suite, parce qu’être éveillée fait seulement mal. Je ne connais jamais la paix: ni quand je suis réveillée, ni, bien souvent, la nuit, à cause des cauchemars liés à mes traumatismes. Et si, par moment, j’en fais brièvement l’expérience, ce petit rayon de lumière est vite à nouveau éclipsé, ce qui rend la souffrance encore plus insupportable.

Je ne peux pas échapper à la peur et à la tension qui me terrorisent en permanence. Ce n’est tout simplement plus une vie. Je ne pense pas à des projets d’avenir, comme des études, un travail ou des voyages que j’aimerais encore faire. Ma tête est uniquement occupée à survivre et à chercher comment arrêter de souffrir.

“J’ai fini par avoir peur de la vie”

Mon existence me paraît sombre, comme si le soleil ne pouvait plus percer. J’ai fini par avoir peur de la vie. Je ne compte même plus le nombre d’hospitalisations, mais dire qu’il y en a eu une trentaine ne serait certainement pas exagéré. Je suis enfermée depuis si longtemps que je ne sais même plus comment mener une vie ‘normale’. En dehors des murs de la psychiatrie, je ne fonctionne tout simplement pas. Pour moi, une vie vivable signifierait surtout que je puisse ressentir de l’apaisement et être capable de m’y accrocher. Une vie dans laquelle je ne serais pas constamment submergée par la peur, la tristesse et d’autres émotions lourdes.

En réalité, j’aimerais effacer mon passé pour pouvoir recommencer à zéro, avec une page blanche et sans ces traumatismes qui continuent de me hanter. J’aimerais appuyer sur un bouton reset pour percevoir les chances que j’aurais dû avoir. Je me demande parfois comment les choses se seraient passées si on était intervenu plus tôt. Je suis convaincue que cela aurait pu épargner beaucoup de souffrance.

Globalement, je suis satisfaite de la psychiatrie pour adultes, mais la pédopsychiatrie a été pour moi une toute autre histoire. Des erreurs y ont été commises, qui ont encore aggravé ma souffrance. En plus, on y subit encore très souvent du harcèlement, sans parler de l’exclusion et du manque de sécurité. C’est là, par exemple, que j’ai appris l’automutilation, et personne n’est intervenu. Parfois, je trouve ça dommage que personne ne puisse se mettre à ma place, afin de ressentir ce que c’est que d’avoir si mal, jour après jour. Ce serait tellement plus simple si les autres pouvaient, ne serait-ce que 10 minutes, entrer dans ma tête et sentir ce que je ressens, autant la douleur psychique que la douleur physique.


Ce n’est pas un cri pour attirer l’attention. C’est simplement ma réalité quotidienne. Si je le pouvais, je choisirais la vie. Mais pour moi, elle est d’une lourdeur insupportable. Personne ne dit qu’il préférerait être mort pour le plaisir de le dire, sauf si vraiment, il n’y a plus d’autre issue. Mon seul souhait pour 2026 est donc que ma souffrance soit considérée telle qu’elle est et que je puisse enfin faire mes adieux selon mes propres conditions, afin de pouvoir mourir dans la dignité et en toute sérénité. »

Si vous avez des pensées suicidaires et que vous avez besoin de parler, vous pouvez contacter la ligne d’écoute du Centre de Prévention du Suicide au 0800 32 123 ou via le site preventionsuicide.be.

Texte: Marijke Clabots

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