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À COEUR OUVERT: « Je devais être l’enfant malade pour qu’elle m’accepte »

Zoé Gascoin Rédactrice web

Pour beaucoup, l’amour maternel est une évidence, mais pour Louise, 34 ans, c’est malheureusement une autre histoire. Elle a grandi avec une mère atteinte du syndrome de Münchhausen par procuration.

Louise, 34 ans, a été maltraitée par sa mère, qui souffre du syndrome de Münchhausen par procuration.

Louise « Le syndrome de Münchhausen par procuration, également connu sous les termes de maltraitance infantile par falsification et maltraitance infantile médicale, ne se limite pas à un parent qui empoisonne ou rend délibérément son enfant malade. Cette forme de maltraitance infantile revêt plusieurs formes. Il peut par exemple s’agir d’exagérer ou d’inventer des symptômes dans le but d’attirer l’attention et/ou de susciter la compassion.

Certains parents ou tuteurs – généralement des mères – tentent ainsi de donner au monde extérieur l’image d’un parent exemplaire, prêt à se sacrifier pour ses enfants. D’autres tirent une satisfaction particulière lorsqu’ils parviennent à tromper les professionnels de la santé.

Malheureusement, je sais de quoi je parle, pour l’avoir vécu.

J’ai grandi avec une mère très manipulatrice, qui considérait les autres comme des moutons stupides et voyait le monde extérieur comme un mal nécessaire. Sa vérité était la vérité. Mon père – qui était surtout distant et se consacrait à son travail – était écarté de l’éducation et dépeint comme stupide et incompétent. Les émotions étaient interdites dans notre famille. Quiconque se montrait sensible était ridiculisé. Se moquer des faiblesses des autres était encouragé et considéré comme amusant.

Enfant, je ne connaissais rien d’autre et je faisais ce qu’on attendait de moi pour éviter toute punition, quelle qu’elle soit. Je me souviens que, dès mon plus jeune âge, je restais souvent à la maison, soi-disant parce que j’avais des problèmes de santé. Lorsqu’une institutrice de l’école primaire a dit un jour que je n’étais pas malade, ma mère s’est mise dans une colère noire et lui a passé un savon. J’avais à peine 7 ans lorsqu’elle m’a dit à quel point elle trouvait cette femme idiote et que j’étais bel et bien malade. Une situation similaire s’est produite lorsqu’un camarade de classe m’a vue avec ma mère au marché et a ensuite déclaré que je simulais ma maladie. Une fois de plus, elle m’a convaincue que j’avais bien un problème médical. Je sais que cela m’a beaucoup perturbée, mais comme tout enfant, je voulais satisfaire ma mère et j’étais bien trop jeune pour affirmer le contraire.

Être malade, c’était mon rôle

En raison d’une combinaison de problèmes d’oreilles et de gorge et d’une fatigue persistante, nous avons été pendant des années des clientes régulières de différents médecins. Je devais être l’enfant malade pour être acceptée par ma mère. C’était le rôle qui m’était imposé.

À l’âge de presque 11 ans, j’ai commencé à inventer moi-même des symptômes. J’ai commencé à le faire après une visite horrible chez un pédiatre à l’hôpital. Ce spécialiste ne comprenait pas ce que nous venions chercher. Il ne voyait rien d’anormal, trouvait les symptômes très vagues et voulait d’abord demander plus d’informations à notre médecin généraliste avant de me faire passer d’autres examens. Je me souviens que ma mère s’est mise en colère, puis m’a confié qu’elle trouvait ce médecin stupide.

Je pense que ce moment a été pour moi le déclencheur qui m’a poussée à être plus malade, car je ne l’étais pas assez pour donner à ma mère ce qu’elle voulait. Comme mon père n’avait pas son mot à dire et que j’étais en grande partie isolée, je suis devenue encore plus dépendante d’elle. Je me souviens avoir fait semblant d’avoir vomi, j’avais rassemblé de la nourriture pendant le dîner et j’ai fait semblant que c’était du vomi. J’ai été surprise qu’elle ‘croie’ cela, car il était évident que ce n’était pas du vomi. Mais tout ce qui convenait à ma mère était préférable...

À l’âge de 13 ans, j’avais manqué tellement de jours d’école qu’on m’a orientée vers les services de santé mentale.

Lors de l’entretien préliminaire, le personnel a compris que quelque chose n’allait pas et un plan a été établi afin de poser un diagnostic pour moi et mes parents. En outre, un entretien devait avoir lieu avec moi afin de déterminer les traumatismes que j’avais subis et je devais bénéficier d’une aide ciblée pour retourner progressivement à l’école. Mais cela ne s’est jamais produit, car ma mère a mis fin à tout cela du jour au lendemain. Je suis convaincue qu’elle a pris peur.

Personne dans notre famille n’avait le droit de poser de questions ‘délicates’, alors j’ai dû retourner à l’école comme si de rien n’était, comme si ma santé n’avait jamais été un sujet sensible. Comme je n’avais plus d’absences scolaires à partir de ce moment-là, personne ne pouvait plus exiger de soins psychologiques. C’est très pénible pour moi d’y repenser. On m’a refusé les seuls soins dont j’avais vraiment besoin.

Dure, froide et sans amour

Comment j’ai découvert ce qui se passait? Les pièces du puzzle ne se sont pas assemblées du jour au lendemain, même si je savais que j’avais subi d’innombrables examens inutiles, simplement parce qu’à partir d’un certain moment, j’ai joué le jeu de ma mère pour essayer de la rendre heureuse.

À partir du moment où je n’étais plus ‘utile’ pour elle, je me suis concentrée sur l’école et l’obtention de bonnes notes. Ado, j’ai commencé à refouler le passé et à me concentrer sur ma survie, car repenser à tout ce qui s’était passé m’empêchait de fonctionner correctement. Dès que j’ai quitté le nid familial, j’ai voulu mener une vie aussi normale que possible et je me suis surtout tournée vers l’avenir.

Mais il y a quelques années, les choses ont commencé à bouger discrètement. J’ai raconté à mon ex-petit ami que j’étais souvent malade quand j’étais enfant et qu’on n’avait jamais trouvé la cause de mes maux, ce après quoi il a évoqué le syndrome de Münchhausen par procuration.

Je sais que cette déclaration de sa part m’a beaucoup choquée. Je trouvais ma mère étrange, mais cette affirmation me semblait exagérée. De plus, j’avais honte de mon propre rôle dans cette histoire. C’est pourquoi je l’ai mise de côté, car cela me semblait plus facile à vivre que de regarder le rôle de ma mère en face.

Je suis restée dans le déni jusqu’à ce que je ne puisse plus me concentrer sur mon travail, ce qui m’a conduite à un burn out.

J’avais déjà lu quelque chose sur la négligence affective et je m’y reconnaissais beaucoup, alors que si on m’avait demandé autrefois si mon enfance avait été malheureuse, j’aurais répondu non, car je n’avais par exemple presque jamais été frappée. De plus, ma mère nous disait régulièrement que nous étions supérieurs aux autres familles. Elle nous convainquait que nous pouvions être heureux d’avoir reçu une bonne éducation grâce à elle.

Pendant des années, j’ai donc été convaincue que je n’avais pas subi de traumatismes pendant mon enfance, tant j’étais dans le déni. Mais lorsque j’ai démarré une relation avec mon mari, que j’ai vu de plus en plus souvent comment fonctionnait une famille saine (ou plus saine) et que je me suis sentie de plus en plus en sécurité, mon esprit s’est libéré et j’ai ouvert les yeux.

À partir de ce moment, j’ai compris que j’avais besoin d’une aide professionnelle. Au cours de la thérapie, j’ai pris conscience que ma mère avait de nombreux traits narcissiques. Je me suis plongée dans le sujet du narcissisme (caché) et cela a été un nouveau choc, car je m’y suis beaucoup reconnue. Je n’ai alors pu que constater que mon enfance avait en fait été tout simplement horrible.

Grandir avec une mère comme la mienne a été difficile, froid et surtout sans amour. J’étais en quelque sorte ‘un objet utilitaire’ et cette prise de conscience était si bouleversante que j’avais à nouveau tendance à me blâmer ou à penser que j’exagérais.

Mon corps, sa propriété

Les dossiers médicaux que j’ai demandés apportent des éclaircissements, mais soulèvent également de nombreuses questions, notamment au sujet de mon enfance. Par exemple, quand j’étais petite, je me suis cassée le bras à 2 reprises, j’ai subi plusieurs amygdalectomies et j’ai souvent eu des yoyos.

Dans certains cas, je pense que c’était tout à fait justifié, mais pour la plupart des examens, je doute de leur nécessité. Je n’ai pas de preuves irréfutables, mais je crains que ma mère ait exagéré, aggravé ou peut-être même provoqué mes symptômes dès mon plus jeune âge. Je ne sais pas jusqu’où elle est allée et lui poser des questions précises à ce sujet serait vain, pour ne pas dire totalement inutile.

J’ai un jour tenté d’aborder le sujet de mon enfance, mais lorsqu’elle s’est à nouveau posée en victime, j’ai d’abord décidé de rompre temporairement tout contact.

Cela fait maintenant plus de 2 ans, et en ce qui me concerne, le lien est désormais définitivement rompu. L’un des examens qui restera pour toujours gravé dans ma mémoire est celui où l’on a examiné mes intestins à l’aide d’une pâte radioactive. Ma mère était présente et regardait mes ‘entrailles’ avec le médecin. Pour moi, cela dépassait les limites. Mon corps ne m’appartenait pas.

Il y a eu d’autres examens étranges de ce genre et des médecins qui me touchaient, même dans des zones intimes. Je me souviens aussi d’un examen au cours duquel un petit tube a été introduit dans mon estomac par le nez. C’était très douloureux physiquement, mais l’humiliation et la peur qui accompagnaient tous ces examens ont causé des blessures émotionnelles encore plus profondes.

Ma mère semblait très bien supporter ma souffrance. Grâce à moi, elle attirait l’attention, alors qu’elle ne s’intéressait pas du tout à moi. Personne ne me réconfortait, personne ne me demandait comment ça s’était passé ou comment je me sentais. J’ai peur qu’elle ait pris plaisir à me voir aussi impuissante. Cela lui faisait quelque chose. Les gens ne peuvent probablement pas imaginer cela, mais je vous garantis qu’elle se fiche complètement de mon bien-être. Elle l’a prouvé plus de fois qu’il n’en faut dans ma vie.

Depuis que j’ai réussi à admettre ce qui s’était passé et que j’ai obtenu les preuves écrites, je dois vivre avec cette réalité. Il est très difficile de réaliser tout ce qui m’a été enlevé. J’ai aujourd’hui 34 ans et, même si c’est encore relativement jeune, je me sens en même temps profondément ‘vieille’ et j’ai du mal à accepter le fait que je ne récupérerai jamais ces années perdues. Ce deuil est parfois accablant. En même temps, je suis consciente qu’il vaut mieux regarder ce qui s’est passé en face, plutôt que de continuer à le refouler, car cela ne fait que nuire et, un jour ou l’autre, la vérité finira par vous rattraper.

Plus de visite médicale

Je ne peux pas changer le passé, mais le fardeau que je porte est lourd. Toute ma vie, j’ai souffert de troubles liés au stress, même si je l’ai longtemps nié. Ma mère m’interdisait en effet d’être stressée, car selon elle, c’était un signe de faiblesse. Je suis toujours hyper vigilante, ce qui rend difficile pour moi le fait de me détendre. Je ne sais vraiment pas comment profiter de la vie...

De plus, je souffre de cauchemars et de dépression. Enfant, j’étais toujours attentive aux sautes d’humeur de ma mère. Je ne savais jamais à l’avance dans quelle direction le vent allait souffler. De plus, non seulement j’ai du mal à faire confiance aux autres, mais j’ai également perdu le contact avec mon propre corps. C’est comme si j’avais coupé ce lien, ce qui était peut-être nécessaire dans mon subconscient pour pouvoir supporter tous les examens médicaux. Je considère souvent mon corps comme un fardeau. Il m’a rendue vulnérable, car il a été la porte d’entrée à des mauvais traitements.

Lorsque je suis réellement malade, c’est pour moi une confrontation difficile. D’un côté, j’ai très peur qu’il s’agisse de quelque chose de grave. Je ne sais pas ce qui est sain et ce qui ne l’est pas. Mais d’un autre côté, je préfère ne pas aller chez le médecin, car je crains qu’il pense que je fasse semblant. Je ne sais pas vraiment ce qui est un mal ‘normal’ et ce qui ne l’est pas. 

Je raconte mon histoire parce que je trouve important d’attirer l’attention sur cette forme de maltraitance infantile, qui passe encore trop souvent inaperçue. Cela s’explique en partie par le fait qu’elle n’est souvent pas visible pour l’entourage, et le fait qu’une mère atteinte du syndrome de Münchhausen par procuration soit très manipulatrice n’aide certainement pas non plus.

D’autre part, cela passe peut-être inaperçu parce que ça va à l’encontre de l’image sociale imposée des parents. On part automatiquement du principe que les parents veulent le meilleur pour leurs enfants. Heureusement, ce genre d’histoires est plus l’exception que la règle, mais cela ne signifie pas pour autant qu’elles n’existent pas.

Un enfant victime de maltraitance par falsification et qui en est conscient n’a en fait personne vers qui se tourner. Qui m’aurait crue si je m’en étais rendu compte à l’époque et si j’avais parlé? De plus, en tant qu’enfant, on dépend de sa mère et on ne se sent pas suffisamment en sécurité pour tirer la sonnette d’alarme. Qui sait ce qu’elle aurait fait de moi ou de ma famille?

Je regrette énormément toutes ces années où j’ai dû survivre, au lieu de vivre. Si seulement j’avais compris plus tôt ce qui se passait, j’aurais pu m’en occuper dès le début de ma vingtaine. Mais le fardeau était encore trop lourd à l’époque. Je n’étais peut-être pas encore assez forte... L’amour maternel est considéré comme allant de soi et même comme une bénédiction, ce qui est certainement le cas dans la plupart des situations. Mais nous ne devons pas oublier que toutes les mères ne sont pas des saintes et qu’il existe aussi des mamans qui n’aiment pas leurs enfants, avec toutes les conséquences et les séquelles que cela implique.

Parfois, je pense que je ne pourrai jamais mener une vie heureuse. Je vis entre espoir et pessimisme, et bien que je recherche le bonheur, j’ai souvent peur que ce soit et que cela reste une utopie pour moi. Mais je ferai tout mon possible pour tirer le meilleur parti de la situation, car je me le dois. »

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