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Pour les femmes népalaises, avoir ses règles représente un danger mortel

Kathleen Wuyard

Si le sujet reste tabou même dans nos sociétés occidentales, dans d’autres parties du monde, les règles sont considérées comme quelque chose d’abject et honteux, qui rend les femmes impures. Au Népal, le rite du Chhaupadi exclut d’ailleurs les femmes du foyer lorsqu’elles sont réglées. Une pratique archaïque et dangereuse qui a coûté la vie d’une maman et de ses deux enfants début janvier.


Elle s’appelait Amba Bohara, elle avait 35 ans, et ses deux fils étaient âgés de 7 et 9 ans. Quand ses règles sont arrivées peu après la nouvelle année, elle a suivi le rituel habituel: considérée comme impure, Amba Bohara s’est barricadée avec ses enfants dans la “hutte de menstruation” du village. Pour faire face au froid, elle a allumé un feu dans la hutte, mais l’espace exigu de celle-ci n’a pas permis à la fumée de s’évacuer: deux jours plus tard, Amba et ses enfants étaient retrouvés morts asphyxiés. Trois victimes supplémentaires du Chhaupadi, un rite aussi injuste qu’archaïque qui veut que les femmes réglées soient impures et qu’elles soient bannies le temps de la menstruation. Elles ne peuvent pas s’approcher de leur famille, se rendre au temple, utiliser les ustensiles de cuisine d’autre villageois ni même se laver dans les sources d’eau communes. Cachez ce sang que l’on ne saurait voir – et tant pis si depuis l’année passée, la pratique est illégale au Népal.

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La loi prévoit une peine de trois mois de prison et/ou 3 000 roupies d’amendes (environ 25 euros) pour quiconque force une femme à se soumettre à cette pratique. C’est que le Chhaupadi n’est pas seulement arriéré, il est aussi extrêmement dangereux, ainsi que l’illustre le sort tragique d’Amba Bohara et de ses fils. Contraintes de séjourner dans des abris de fortune, des cabanes ou des huttes, les femmes doivent faire face au froid en hiver (et aux intoxications à la fumée si elles tentent de se réchauffer), à la chaleur en été, aux animaux sauvages, et aux infections. Mais la pratique est tellement ancrée dans les mentalités que ni les dangers ni la menace de la loi ne suffisent à pousser les femmes à arrêter de s’y soumettre. Car les hommes ne sont pas les seuls à pousser en faveur du Chhaupadi: les femmes, convaincues d’être impures, se l’appliquent aussi.

Selon une étude réalisée en 2010 par le Bureau américain de la démocratie et des droits de l’homme, 19% des Népalaises âgées de 15 à 49 ans respectent la pratique du Chhaupadi. Dans les campagnes, cette proportion s’élèverait même à 50%. Pour Mohna Ansari, membre de la commission nationale des droits de l’homme au Népal,

La situation est misérable, et elle ne montre aucun signe de changement.


Si elle n’est criminalisée que depuis août 2018, la coutume est en effet illégale depuis une décision de la Cour Suprême datant de 2005. Mais rien n’y fait. Le 9 janvier 2018, presque un an jour pour jour avant Amba, c’est une villageoise de 23 ans, Gauri Bayak, qui était morte dans des conditions similaires dans la municipalité de Turmakhad. En 2016, c’était une adolescente de 15 ans et une jeune femme de 21 ans qui avaient péri dans leur hutte menstruelle. Pour la photographe Poulomi Basu, auteur d’une série photographique sur le sujet, “c’est inconcevable d’imaginer qu’autant de douleur se cache dans ces paysages magnifiques qu’on a tendance à associer à la liberté”. Alors elle milite par le biais de clichés de femmes exilées, et reconnaît à regret que “cela va prendre du temps avant de révolutionner les mentalités”. Peut-être, mais l’avocat qui s’est battu pour que le Chhaupadi soit puni par la loi est un homme, alors le changement est visiblement déjà en marche.

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