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La revanche des ““nulles””, des critiques à la réussite

Kathleen Wuyard

Dès la publication de « Ne reste pas à ta place », le dernier livre de la journaliste et militante française Rokhaya Diallo, une déferlante de témoignages a inondé les réseaux sociaux. Nombreux en effet sont ceux et celles à qui on a dit à un moment de leur parcours qu’ils « n’y arriveraient pas ». Leurs parents, leurs profs, leurs proches… : les jeunes femmes qui témoignent pour notre article ont pris leur revanche en leur prouvant à quel point ils avaient tort.


Elles s’appellent Gisèle, Anne, Christelle ou Elodie. À les voir aujourd’hui, accomplies et épanouies, il est difficile de croire que leur chemin a été semé d’embûches ou même qu’on a tenté de leur barrer la route. Et pourtant : toutes ont dû affronter le manque de confiance de leurs proches, et leurs remarques parfois incroyablement blessantes, dont les cicatrices sont toujours présentes des années après. Mais qu’elles portent toutefois comme des badges d’honneur, symbole de ce qu’elles ont dû dépasser pour en arriver là où elles en sont aujourd’hui. Certaines, comme Elodie Berthe, ont littéralement mis des milliers de kilomètres entre leurs détracteurs et leur réussite. Née à Liège, la jeune femme de 29 ans prend une année sabbatique en Nouvelle-Zélande avant ses études de communication à l’ULB. Elle y rencontre Ryan, l’homme de sa vie, avec qui elle est aujourd’hui mariée, et ils construisent la maison de leurs rêves à Wellington, où elle est créatrice de contenu pour la Croix-Rouge Néozélandaise.

Elodie a mis des milliers de kilomètres entre elle et les critiques

Le poste parfait pour cette mordue de cinéma, qui enchaîne les voyages pour produire des vidéos mettant en avant le travail de la Croix-Rouge. Job passionnant, maison en bord de mer sur une île paradisiaque… D’un œil extérieur, le succès d’Elodie est on ne peut plus aspirationnel. Et pourtant, si elle avait écouté sa prof de français d’humanités, elle aurait revu ses rêves à la baisse. « En quatrième secondaire, beaucoup de mes professeurs, ainsi que mes parents, pensaient que j’allais doubler. Je n’étais pas très douée en math ni en sciences, mais j’étais plutôt littéraire et je voulais prendre l’option français-histoire en 5e-rhéto. En fin d’année, j’ai réussi tous mes examens, et donc pas doublé, mais ma prof de français, qui ne me pensait pas capable de grand-chose, a écrit dans mon bulletin qu’elle me déconseillait fortement l’option « français », sans autre explication ». Un coup dur pour cette élève créative, qui voyait là un bon moyen d’utiliser son imagination.

J’ai été très déçue, et sur le moment même, ça m’a vraiment fragilisée et j’ai perdu beaucoup de confiance en moi. Heureusement, je suis quelqu’un qui redouble d’effort après un échec, donc sur le long terme, je crois que ça m’a rendue plus forte.


Un sentiment auquel fait écho Gisèle Veneruz, qui se décrit aujourd’hui comme une « happy entrepreneuse ».

Aujourd’hui, Gisèle est une “happy entrepreneuse”

Diplômée en stylisme, elle a créé Au Dé filé, son entreprise de retouches et accessoires zéro déchet située sur le plateau de Herve, et vit de sa passion. N’en déplaise à une de ses professeures de stylisme : « lors d’un tête-à-tête prof-élève, elle m’a dit qu’elle ne voyait pas d’avenir pour moi dans le métier, que mes créations ne plairaient pas à de futurs clients. Selon elle, continuer mes études représentait beaucoup d’investissements personnels et financiers pour rien ».

« Ne reste pas à ta place »


Aujourd’hui, avec le recul, Gisèle pense que « cela m’a donné encore plus envie de prouver que je pouvais y arriver. Cela m’a appris la persévérance, le positivisme et la motivation ». Même si, ainsi qu’elle l’avoue, « dans les moments où je suis fort démoralisée, je me dis que ça aurait été plus simple en effet de tout arrêter ». Et pourtant, la jeune femme confie être comblée par son métier et ne pouvoir s’imaginer en faire aucun autre.

J’adore ce que je fais et je suis heureuse de me lever le matin. Quand on fait l’équilibre entre les moments de découragement et les moments de joie, il n’y a pas photo, je suis pleinement à ma place.


Ce qui ne veut pas dire que les remarques blessantes de sa prof ne viennent pas parfois la hanter : difficile, de se sentir pleinement à sa place, quand on vous a répété encore et encore en chemin que ce n’était pas la vôtre. Rokhaya Diallo en sait quelque chose : la journaliste et activiste française vient de publier un livre à ce sujet, intitulé « Ne reste pas à ta place ». Un cri de ralliement pour ceux et celles que l’on voudrait convaincre qu’essayer ne sert à rien. Lancé sur Twitter dans la foulée, le hashtag #NeRestePasATaPlace a rapidement rassemblé des milliers de commentaires, du PDG à l’astrophysicienne en passant par l’artiste accompli, à qui tous, quelqu’un, à un moment donné, a annoncé qu’ils n’y arriveraient jamais.

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Des écueils que Rokhaya Diallo n’a pas dû traverser : bonne élève durant toute sa scolarité, elle a pu compter sur les encouragements de ses parents et de ses professeurs. Il n’empêche que pour elle, issue d’un milieu modeste, travailler dans un milieu professionnel « entourée de gens issus des classes sociales supérieures » représente également une revanche sur le destin qu’on aurait pu lui prédire. Ainsi qu’elle le dénonce, « pour les femmes, c’est plus fort encore parce que ce n’est même pas toujours exprimé, c’est ancré, explicite : on est élevées dans l’idée qu’on est moins capables que les hommes et qu’on doit se placer en retrait ». Prof de biologie et géographie dans le secondaire supérieur, Katrien Dubois a elle même été “freinée”, quand sa prof d’humanités lui a dit qu’elle ne serait pas capable de devenir vétérinaire. Après lui en avoir longtemps voulu, elle reconnaît aujourd’hui qu’elle n’en aurait pas été capable à l’époque, faute d’assiduité à l’école, et en vient aujourd’hui à reconnaître l’importance d’un recadrage professoral... À condition qu’il soit bien fait.

Aujourd’hui, on “cadre” beaucoup plus ce qu’on dit, on essaie de faire passer les choses de manière claire et respectueuse. Après, ce qu’un élève fait avec nos remarques, c’est à  lui de voir, et cela fait partie de la formation aussi, c’est ça, devenir adulte, non?

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Dans son entourage, Rokhaya Diallo avoue « avoir vu beaucoup de personnes à qui on a dit qu’ils n’y arriveraient pas. Je ne crois pas du tout au mythe des gens qui se sont ‘faits tout seuls’, on se nourrit toujours de son environnement”.

Il faut bien avoir conscience que l’échec n’est pas une fin en soi et ne représente pas la fin du parcours, même si c’est douloureux et que ça peut laisser des cicatrices profondes.


Comme celles qu’a dû guérir Anne Laurent. Âgée de 27 ans seulement, elle est déjà à la tête de sa propre entreprise, Ananda, qui propose une sélection de produits de beauté « clean » et sans compromis. Et pourtant, des compromis, la native de Chaudfontaine a dû en faire avant d’en arriver où elle en est aujourd’hui.

Cicatrices profondes


“En 2e secondaire, je n’avais aucun intérêt pour l’école, mes résultats n’étaient pas incroyables et mon titulaire a gentiment suggéré à mes parents de m’envoyer dans l’enseignement technique, parce que je n’avais pas les capacités pour rester dans le général selon lui. Mes parents ont bataillé pour que j’y reste, j’ai doublé mon année et puis j’ai terminé mes secondaires sans trop de soucis, mais ce moment a été horrible et je me suis sentie nulle pendant tout le reste de mes études”.

J’ai perdu toute confiance en moi et en mes capacités, et c’est la raison pour laquelle je n’ai jamais osé commencer des études universitaires. C’est seulement une fois entrée dans le monde du travail que je me suis rendu compte que je n’étais pas si incapable que ça, bien au contraire.


“Etant persuadée que vivre de sa passion était possible, je me suis toujours débrouillée pour avancer dans ce sens. Grâce à toutes les personnes qui n’ont pas cru en moi, j’ai acquis une soif d’apprendre, d’avancer, et de dépasser mes limites ».

Anne Laurent a pris sa revanche en beauté

Malheureusement, il n’en est pas toujours ainsi. Comme l’explique la Professeure Emmanuelle Hayward, psychologue clinicienne spécialisée en thérapies comportementales, « 90% des patients que je rencontre en consultation sont des personnes qui ont dû faire face à des remarques négatives et en souffrent encore à l’âge adulte. Qu’il s’agisse d’injonctions telles que « tu n’y arriveras pas », « tu es trop grosse, tu dois faire régime », ou même des remarques dont l’intention n’est pas nécessairement malveillante comme « qu’est-ce qu’elle a du mal avec ses tables de multiplication cette année! », l’enfant ou l’adolescent intériorise ces phrases. Il les prend pour siennes, et elles finissent par faire part de son identité”.

Le « tu » n’y arriveras pas devient « je » n’y arriverai pas, qui devient « je suis une personne incapable ». Partant de là, le jeune enfant ou adulte commence à éviter de s’engager dans tout projet qui sort de sa zone de confort, et par cet évitement de la vie, il viendra confirmer qu’il est « médiocre », « incapable ».


“Un cercle vicieux s’installe donc: la pensée bien ancrée « je suis une personne incapable » entraîne des comportements d’évitement ou de fuite d’activités ou de projets positifs. Le non-engagement dans ces activités nourrit la pensée « je suis une personne incapable »”.

La personne ne découvrira jamais que l’injonction « je suis une personne incapable » n’est pas vraie. À lui seul, ce cercle vicieux est très puissant et extrêmement difficile à surmonter ». Experte en intelligence commerciale et à la tête de son entreprise de conseil, « Business by Chris », Christelle Canivet en a fait les frais : ayant un profil kinesthésique et étant dysorthographique, elle a eu bien du mal à trouver sa place dans le système scolaire traditionnel. Résultat: « la plupart de mes professeurs me voyaient juste comme un élément perturbateur avec lequel ils ne souhaitaient pas perdre leur temps, et ils me le disaient clairement. Souvent j’avais des remarques comme: « tu n’arriveras jamais à rien », ou « je ne sais pas ce qu’on va faire de toi »…”

J’avais honte de ne pas obtenir de bons résultats, ce qui renforçait mon comportement difficile. Il n’y avait qu’en me faisant remarquer, en me rebellant que j’avais la sensation d’exister.


Et si avec le recul, elle affirme aujourd’hui que ces obstacles l’ont rendue plus forte, ce n’était pas le cas à l’époque : « pour moi cela venait d’adultes qui en savaient plus que moi, et il ne m’était pas concevable de penser que les choses puissent être différentes. S’ils te disent que tu es incapable c’est que tu l’es».

Christelle s’est rebellée pour avoir le sentiment d’exister

Un état d’esprit auquel sont fréquemment confrontées Charline Partoune et Caroline Tilkin, psychothérapeutes au sein du centre liégeois PsyPluriel : “surmonter le syndrome de l’imposteur est complexe, et un suivi psychologique peut apporter un soutien important”.

Le travail thérapeutique mène à envisager une véritable mise à distance et constitue une prise de recul, qui permettra d’avancer malgré certaines fragilités.


“Dans le syndrome de l’imposteur, l’individu fusionne généralement avec des pensées du type « je suis un imposteur », « je ne suis pas à ma place », « je ne suis pas légitime »,.. La thérapie pourra l’amener à questionner la véracité de ces pensées difficiles et, dans un second temps, essayer de prendre de la distance avec ce discours interne à la valeur émotionnelle négative”.

Célébrer toutes les victoires


Pour la photographe de mariage Jehanne Moll, jugée « trop artistique » durant son parcours scolaire, cette prise de distance s’est faite avec les années : « avec le recul, cette situation difficile m’a menée à ma carrière actuelle. J’adorerais pouvoir revenir 15 ans en arrière et dire à la Jehanne de l’époque que ce n’est pas grave et que ce chemin difficile mènera à une réussite ». Aujourd’hui plus jeune antiquaire de Belgique et auréolée de succès dans ses projets, Aurore Morisse, à qui on a longtemps répété qu’on « ne savait pas ce qu’on allait faire de moi », choisit quant à elle d’en rire.

Ça fait très mal, c’est comme un boomerang en pleine figure, mais ça rend plus forte aussi. Plus on me dit que je ne suis pas capable de quelque chose, plus je m’arrange pour y arriver .


Aujourd’hui, la vie sourit à Aurore

D’autant qu’ainsi que le souligne justement Anne Laurent, « il existe plusieurs formes d’intelligences, et l’intelligence scolaire ne fait pas forcément ses preuves une fois rentré dans la vie active. Il faut croire en ses capacités et toujours essayer pour ne jamais rien regretter. Plus on se plante, plus on apprend et ça, malheureusement, on ne nous l’apprend pas à l’école ». Surtout que comme le rappelle Rokhaya Diallo : « si on n’y arrive pas, il ne faut pas se culpabiliser. Il ne faut pas que les gens qui n’ont pas réussi du premier coup se disent qu’ils sont nuls. La réussite n’est pas forcément toujours spectaculaire, même une petite victoire c’est important. Il s’agit d’arriver à un point où on est heureuse par rapport à nos enjeux personnels ». Car c’est bien le bonheur la plus belle revanche au final.

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