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© Carnaval d'Alost - Getty Images

FAUT QU’ON PARLE: des fourmis juives du Carnaval d’Alost

Kathleen Wuyard

Après la polémique suscitée par les costumes de juifs caricaturés par leurs grands nez, le Carnaval d’Alost a visiblement décidé de repousser encore les limites du mauvais goût cette année en laissant parader des fourmis juives. Une “dénonciation du mur qui sépare Israël et la Palestine”, qui relance le débat sur la liberté d’expression et ses limites.


Officiellement, tout ne serait qu’une histoire d’humour “lost in translation”. Voyez plutôt: fourmi, en néerlandais, se dit “mier”, ce qui ressemble drôlement à “muur” (mur) et justifie donc cette parade d’insectes juifs puisqu’il s’agirait d’une dénonciation du mur qui sépare Israël de la Palestine. Autrement dit, la drôle de colonie de fourmis géantes qui a défilé au Carnaval d’Alost ne serait ni raciste ni antisémite mais bien une prise de position. Une bonne action, presque, en fait. Sauf que l’explication convainc peu, surtout en regard de l’histoire d’Alost et des Juifs.

Un “jeu de mots” qui passe mal


D’abord, parce que comme nombre d’autres villes de Belgique, Alost a envoyé des Juifs dans les camps lors de la seconde guerre mondiale. Mais aussi parce que justement, lors de cette période funeste, les Nazis n’hésitaient pas à comparer les Juifs à de la “vermine” qu’il fallait “exterminer”. Un peu comme des fourmis, donc. Alors ok, “klaugmuur” (mur des lamentations), je change deux lettres, ça fait “lamentations des fourmis”, mais le seul résultat, c’est que c’est lamentable. Et d’autant plus qu’Alost n’en est pas à son coup d’essai, des déguisements jugés antisémites lors des éditions précédentes ayant déjà valu au carnaval d’être retiré du palmarès culturel de l’UNESCO, faute de remplir les critères nécessaires.

La liberté d’expression, oui, mais


Forcément, face aux critiques de ces déguisements d’un mauvais goût inouï, les ripostes ne se sont pas fait attendre, sur le refrain bien connu du “on ne peut plus rien dire”. C’est vrai, merde à la fin, on ne peut plus rire de rien en 2020, et on n’a pas le droit de tranquillement représenter des membres d’une religion sous forme de vermine au prétexte qu’on fait un jeu de mots.

Et ben non, ça ne fait plus rire (presque) personne, et c’est tant mieux. Parce qu’au fond, c’est toujours sur les mêmes qu’on tape, soit les minorités, qu’elles soient sexuelles, religieuses ou raciales. On n’a pas vu, à Alost, de déguisement de Jambon à l’os, alors qu’il n’y avait même pas besoin de changer une seule lettre au nom de Jan pour que le jeu de mot soit réussi. Et l’argument de la liberté d’expression? Déjà, le principe même de la liberté, c’est que celle des uns s’arrête là où celle des autres commence. Autrement dit, si on veut faire des blagues pourries et antisémites dans son coin, c’est naze, rétrograde, incompréhensible, mais soit, par contre dès l’instant où ces “blagues” empiètent sur l’image publique des autres, c’est niet. Ensuite, “blague” justement, parce que non mais c’était pour rire hein, roh ça va, c’est Carnaval: justement, le principe de l’humour, c’est que ça doit être drôle, or là la réaction majoritaire suscitée par les fourmis juives ce sont des larmes de désespoir, certainement pas de rire. Une réaction de dégoût collectif positive selon Yohan Benizri, le président du CCOJB, interviewé par la RTBF.

Aujourd’hui ce qu’on va voir c’est qu’Alost va se singulariser, se marginaliser. La plupart des démocrates vont réagir”


Et d’ajouter, à l’intention de ceux qui diraient que non mais tout de même, ce n’est qu’un simple déguisement, que “si on pouvait avoir un doute sur les intentions antisémites, sur la question du “Est-ce que c’était offensant ou pas ?”, lorsqu’on voit des juifs en cafards (en réalité en fourmis, ndlr), il y a une déshumanisation complète, il ne peut y avoir aucune marge d’interprétation”. Au-delà des fourmis géantes du carnaval de ce dimanche, la vermine, la vraie, qui menace de grignoter la Belgique, c’est celle qui, sous couvert de liberté d’expression, pratique racisme, sexisme et discrimination en se cachant derrière la barrière du “c’est pour rire”. Un déguisement qui ne convainc personne, et qui n’amuse plus depuis belle lurette. Sinon, pour les amateurs de jeux de mots, “vermomde” (déguisé), ça fait presque “verdomme” (bon sang), et Godverdomme, si l’année prochaine, le Carnaval d’Alost pouvait arrêter de se distinguer par sa glorification de la discrimination, ce serait plus qu’apprécié.

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