En étalant le calvaire de Valentin, on assassine son souvenir
Parce que l’infamie du crime contraste cruellement avec l’innocence de la victime, le destin tragique de Valentin Vermeesch s’étale dans les médias, les sévices qu’il a subis étant exposés dans leurs moindres détails. Pour honorer sa mémoire? Et si, au contraire, l’emballement médiatique avait l’effet inverse?
De Valentin, finalement, on ne sait presque rien. Était-il fan de football, comme nombre de garçons de son âge, et si oui, quelle équipe était sa préférée? Préférait-il peut-être le cyclisme, ou bien encore, peu féru de sport, passait-il plutôt son temps à écouter de la musique? Quels étaient ses rêves, ses projets, comment envisageait-il son avenir? Autant de questions qui restent sans réponse. Et pourtant, on ne peut pas dire que Valentin ne soit pas un sujet qui fascine, au contraire: sur Google, son nom est associé à pas moins de 355 000 résultats, allant du compte-rendu sobre de son calvaire à l’exposé détaillé le plus macabre. Car l’adolescent wanzois aura 18 ans pour toujours, sa vie ayant été brutalement interrompue dans la nuit du 26 au 27 mars 2017 par cinq tortionnaires qui ne lui ont fait grâce d’aucune pitié. Et depuis l’ouverture de leur procès, c’est comme si Valentin était tué une seconde fois, son image étant cette fois jetée en pâture aux curieux. 355 000 résultats de recherche sur Google, et pas le moindre hommage à celui qu’il était; les 3 premières pages de résultats n’étant qu’une morbide énumération des sévices qu’il a subis.
Fascination morbide
Chaque jour d’audience apporte son nouveau lot de révélations sordides, qui se retrouvent aussitôt en Une des journaux, pour mieux être diffusées ensuite encore plus vite autour de la machine à café. Lors de la nuit de l’horreur qui lui aura coûté la vie, aucun supplice n’aura été épargné à Valentin Vermeesch, et dans la mort non plus, on ne lui laisse pas de répit. Au regard souriant de cet ado pas tout à fait comme les autres se superposent les tortures qu’on lui a infligées, plus insoutenables encore justement parce que les quelques photos de Valentin rendues publiques montrent quelqu’un de si doux et fragile en apparence.
Pourquoi son calvaire fascine donc autant? Simple sadisme? Il existe bien entendu une part de voyeurisme indéniable, la même qui fait qu’un accident de la route cause autant d’embouteillages, parce que quand ils passent à côté de l’épave, les automobilistes ne peuvent s’empêcher de ralentir légèrement pour regarder. On sait que c’est mal, qu’on ne devrait pas, pourtant il est impossible de s’en empêcher. Mais ce voyeurisme inné ne suffit pas à lui seul à expliquer l’engouement populaire pour les faits divers.
Respect et dignité
Interrogé par le quotidien Ouest-France, le psychiatre français Michel Lejoyeux expliquait quant à lui que “dans une société où le romanesque est peu présent, le fait divers nous stimule. Plus c’est horrible, plus on assimile cela à de la fiction. Il rassemble, aussi: tout le monde s’accorde pour dire que c’est affreux”. Et de fait, chaque conversation autour de Valentin Vermeesch se finit dans un soupir, “le pauvre”, c’est horrible. Ce qui n’empêche pas de continuer à suivre le procès comme on le ferait d’une série policière particulièrement gore, et même, de rompre le secret d’audience pour diffuser toujours plus de détails insoutenables. Et le psychiatre Daniel Zagury, auteur de “La Barbarie des Hommes Ordinaires”, de mettre en garde.
Nombre de faits divers sont mis en scène comme des fictions, mais ce n’est pas ‘pour du beurre’, c’est la réalité. Cette ‘fictionnisation’ de ce qui est un événement réel est inacceptable.
Parce que contrairement à une série ou un film particulièrement pénible à regarder, lorsqu’il s’agit de faits divers, les souffrances des victimes sont malheureusement bien réelles. Valentin a supplié, et ses bourreaux n’ont à aucun moment fait preuve d’humanité avec lui. En se repassant des détails de son supplice, on le transforme irrémédiablement en victime, achevant de ce fait le travail de ses tortionnaires en finissant de le déshumaniser. Pour lui rendre justice comme il se doit, il ne s’agit pas de suivre obsessionnellement son procès, sur lequel cette attention n’aura de toute façon aucun impact, mais bien d’honorer sa mémoire. Il s’appelait Valentin Vermeesch, il venait de Wanze, il avait 18 ans. Sa vie a été interrompue de manière indigne, que sa mort puisse se dérouler dans la dignité et le respect.
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