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Des féministes ont stoppé le projet d’Eros Center et les prostituées ne leur disent pas merci

Kathleen Wuyard

C’est la fin d’un projet lancé il y a 8 ans par le bourgmestre de l’époque Alain Mathot: l’Eros Center de Seraing, visant à encadrer la prostitution sur le territoire de la ville, ne verra pas le jour. En cause, une plainte déposée en justice par le Conseil des femmes francophones de Belgique, qui affirme l’avoir fait à la demande des prostituées. Sauf que celles-ci ne leur disent pas merci.


Et pourtant, lorsqu’il a introduit sa plainte en juin dernier, le Conseil des femmes francophones de Belgique n’hésitait pas à se présenter comme un chevalier blanc, galopant à la défense des travailleuses du sexe. Argument avancé au juge d’instruction: l’article 380 du code pénal punit ceux qui contribuent à la débauche et à la prostitution. Autrement dit, mettre sur pied un Eros Center qui encadrerait celle-ci irait à l’encontre de la loi. Et la femme politique et militante féministe Viviane Teitelbaum d’affirmer que la plainte avait avant tout été déposée à la demande des principales intéressées, qui ne voulaient pas exercer leur activité dans le cadre d’un Eros Center.

Le Conseil des femmes estime que la prostitution est une violence à l’encontre des femmes mais aussi de nombreuses prostituées de la rue Marnix que nous avons rencontrées, nous ont demandé de porter plainte parce qu’elles souhaitaient exercer leur activité de personnes prostituées mais pas dans le cadre d’un Eros center. Est-ce que vraiment Seraing voulait organiser une maison de passe communale?”


Une maison de passe communale, non. Mais la commune voulait trouver une solution structurelle à la problématique de la prostitution, amplifiée sur son territoire ces dernières années avec la fermeture de nombreux bordels à Liège, ce qui avait poussé les prostituées à établir leur activité à Seraing. La rue Marnix était devenue leur QG non officiel, créant un climat d’insécurité pour les riverains ainsi que pour les prostituées, à la merci notamment du proxénétisme hôtelier.

Un amalgame absurde


Ainsi qu’on le souligne du côté de l’ASBL Geces, chargée de la gestion de l’Eros Center, ce dernier devait permettre d’offrir aux travailleuses du sexe un lieu de travail sécurisé, et de lutter contre toute forme de criminalité liée à la prostitution. Notamment grâce à l’installation d’un bureau de police dans le centre. Mais aussi d’un bureau médical, des locaux de détente, un jardin, un parking et 34 chambres, le tout réparti sur 2000 mètres carrés et permettant d’accueillir une centaine de prostituées. Un projet qui ne risque pas de voir le jour de sitôt: suite à la plainte déposée par le Conseil des femmes francophones de Belgique, la ville de Seraing a préféré y mettre fin afin de protéger son personnel. Les premières mécontentes? Les prostituées elles-mêmes. Dans un communiqué adressé aux médias, le collectif Utsopi (Union des travailleu-r-se-s du sexe organisé-e-s pour l’indépendance) a déploré l’abandon du projet, qui “ne verra pas le jour, à cause de l’acharnement du Conseil des femmes francophones de Belgique (CFFB) qui a déposé plainte en justice”.

Ces ‘féministes’ font un amalgame absurde entre la traite des êtres humains – qu’Utsopi et toutes les associations de terrain combattent fermement – et la prostitution librement consentie”


Sous couvert de vouloir protéger les prostituées d’une “violence à l’encontre des femmes”, le CFFB “emmure les travailleuses du sexe au fond de la tristement célèbre rue Marnix, à Seraing, dans des taudis à la limite de l’insalubrité. Demain, en les contraignant à travailler dans la clandestinité?”.

Toute prostitution n’est pas en soi une violence. Ce qui est violent ce sont les conditions souvent sordides dans lesquelles s’exerce le travail du sexe”


Et Utsopi de s’étonner de n’avoir jamais été contactée par la présidente du CFFB, Sylvie Lausberg. C’est là que le bât blesse: au prétexte de combattre pour les droits des femmes et contre les violences qui leur sont faites, un collectif de féministes dont il est raisonnable d’assumer qu’aucune des membres n’est une prostituée a décidé à la place des principales concernées.

Violence intellectuelle


Bien sûr, toutes n’étaient pas en faveur du projet. Certaines craignaient en effet qu’il ne s’agisse là d’une tentative de l’Etat belge de surveiller de plus près leurs revenus. Il n’empêche qu’en 2013 déjà, lorsque Geoffrey Wolff avait sondé pour Le Soir les prostituées de la région, celles-ci étaient majoritairement enthousiastes, curieuses de savoir où elles pouvaient s’inscrire et inquiètes de savoir comment seraient départagées les candidates, trop nombreuses pour le nombre de places. C’est que contrairement à la pensée répandue (et rabâchée par les mouvements féministes, le CFFB en tête), la prostitution n’est pas toujours une histoire de femmes manipulées, sans recours, contraintes de vendre leur corps au profit d’autres. Ce n’est certainement pas le premier choix de carrière des femmes qui l’exercent, mais pour certaines, c’est un choix tout de même. Lorsque je l’avais rencontrée pour Boulettes à la liégeoise, Marina, une prostituée de la rue Varin à Liège, m’avait désarçonnée. Je m’attendais moi aussi à être face à une victime, et je me retrouvais à discuter avec une femme d’affaires, qui, si elle avouait être lassée de son travail et avoir parfois “envie de vomir” avec certains clients, était toutefois ravie de si bien gagner sa vie.

Le métier a ses bons côtés: je pars en vacances trois ou quatre fois par an. Je vais voir ma famille en Espagne ou en Roumanie. Je gagne bien ma vie, je peux profiter. J’habite en Bavière, un appartement au dixième étage, avec vue sur toute la ville”


Moyennant 2000 euros de loyer par mois, elle affirmait se sentir “en sécurité”. Je paie un loyer pour avoir le droit de me prostituer dans cette vitrine, mais je n’ai pas de mac, je suis mon propre patron!”. Et c’est bien là le problème de la plainte du CFFB: avoir voulu s’arroger le patronage de femmes adultes et indépendantes qui n’en avaient pas demandé autant. Et ce faisant, faire exactement ce qu’elles reprochent en se rendant coupables de violence intellectuelle à leur égard. Car pute ne veut pas dire soumise, et le CFFB ferait bien de s’en rappeler.

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