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75 ans après la Libération, le calvaire des Italiennes aux mains des Français refait surface

Kathleen Wuyard

Ce mois de juin marque les 75 ans du débarquement en Normandie, et avec lui, la Libération de l’Europe après 5 ans d’une guerre meurtrière. Sauf qu’alors que Trump fête l’occasion en Angleterre, en Italie, on se souvient des viols de masse commis par les soldats français venus “libérer” le pays.


D’abord, comme partout en Europe, le Latium, une région montagneuse et agricole à deux heures de Rome, a été en proie à l’excitation. Après des mois à mener bataille à Monte Cassino, l’armée de Libération, menée par le Général Juin avec l’aide des troupes du Corps expéditionnaire français (CEF), l’a enfin emporté. L’envahisseur allemand est en fuite, l’Italie est libérée... Mais les Italiens ne sont pas libres, loin de là. C’est que Mussolini a pris la funeste décision de s’allier à Hitler, entraînant tout son pays avec lui du mauvais côté de la force. Et les soldats du CEF qui déferlent sur le Latium ont soif de revanche- et de chair fraîche.

Violée par 40 hommes


Suivant les sources sur lesquelles on se base, les chiffres divergent, mais une chose est certaine: avec l’arrivée des soldats français, c’est une véritable épidémie de viols qui s’est abattue sur la région. 3 500 viols au moins, si on se base sur les indemnités versées par les gouvernements français et italiens, 12 000, selon les historiens, et pas moins de 60 000 selon les chiffres recueillis par les associations. Des viols d’une rare barbarie, souvent de masse, auxquels Libération consacre une enquête aussi difficile que nécessaire à lire. 75 ans après les faits, les victimes n’ont rien oublié, et tant les souvenirs des actes que l’absence de reconnaissance de leur souffrance les hantent. Il y a Pietro, 86 ans, qui raconte avoir été “pris comme une femme, ils m’ont tout fait, comme des bêtes”; Elide, violée alors qu’elle n’avait que quinze ans, pendant que sa mère hurlait impuissante dans la pièce d’à côté, ou encore cette adolescente de 17 ans, violée jusqu’à la mort par 40 soldats, qui ont coupé la langue de sa mère et l’ont forcée à regarder lorsqu’elle a tenté de sauver sa fille. Interrogée par Leïla Minano, Sylvia, 18 ans tout juste à l’époque, se souvient.

Je ne sais pas combien de filles ont été “attrapées”, mais quand les soldats sont partis, beaucoup avaient des maladies vénériennes. Certaines sont tombées enceintes, des fiancés ont rejeté leur promise. Il y a même des jeunes femmes qui sont devenues folles et se sont suicidées.


75 ans plus tard, les plaies n’ont toujours pas cicatrisé dans la région, d’autant que bon nombre des auteurs sont restés impunis: un peu plus de 200 soldats français condamnés seulement, 3 000 indemnités versées, dont plus de la moitié par le gouvernement italien (“perdant” de la guerre, c’est lui qui a récolté l’addition pour les exactions des Français), et le sentiment que cet épisode sombre de l’Histoire a été passé sous silence. Pour Emiliano Ciotti, président de l’Association nationale des victimes , cela ne fait aucun doute: “Il faut que la France reconnaisse l’existence de ces viols, qu’ils soient inscrits dans l’histoire de la Libération, que les manuels d’histoire la racontent. Pour qu’ils ne se reproduisent plus”. Sauf qu’en pratique, ce n’est pas si simple.

2 millions de viols en un an


Si dans l’imaginaire populaire, la Libération évoque des images de liesse, de villageois se précipitant pour accueillir les tanks de G.I. et de soldats faisant danser les Parisiennes sur les Champs-Elysées, les femmes des pays de l’Axe ont payé un lourd tribut- d’autant plus lourd qu’elles n’ont pas pris part aux combats, et ont tout de même été utilisées comme outil de vengeance par les soldats. Ainsi, lorsque l’Allemagne a été occupée par les Alliés en 1945, on estime que l’Armée Rouge a commis 2 millions de viols en un an seulement, auxquels il faut en ajouter plus de 11 000 aux mains des G.I. et quelques centaines par les soldats français. Une guerre de la chair, relatée avec une justesse presque insoutenable par la journaliste allemande Marta Hillers, 34 ans au moment de la Libération et violée quasi quotidiennement par les soldats, dans son livre “Une femme à Berlin”. Adapté au cinéma par Max Färberböck, l’ouvrage a le mérite de mettre en lumière une page sombre de l’Histoire, que l’on préférerait passer sous silence, afin de ne pas entacher le sentiment d’espoir lié à la Libération. Sauf que justement, que cela se soit passé en Allemagne ou en Italie en 1945, ou bien aujourd’hui, il est primordial de dénoncer sans relâche le traitement du corps des femmes comme d’un champ de bataille. Pour honorer les victimes, décourager des agresseurs potentiels, mais aussi et surtout, inverser une tendance que dénonce l’activiste allemande Monika Hauser: “les femmes violées sont toujours doublement frappées : une première fois par le viol, puis par le rejet de la société. Cette inversion de la culpabilité est typique de nos sociétés patriarcales”. Typique, certes, mais cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas lui mener une guerre sans relâche jusqu’à la vaincre enfin. Pour les victimes du Latium, d’Allemagne, et toutes les autres.

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Photos: Images d’illustration, source Pexels (Mauricio Artieda)

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