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Ôde à ma chambre d’adolescente, celle qui sait tout de moi

Justine Rossius

Chaque fois, c’est la même chose: je profite d’un repas de famille pour m’immiscer dans ma chambre d’enfant. Comme on rend visite à une vieille copine. Et c’est fou ce que 20m2 peut contenir d’une vie.


 

Aujourd’hui, ma chambre d’adolescente ne ressemble plus à grand-chose — ma mère y empile des mannes de vieux vêtements et autres brols; il fait froid, on n’y allume même plus le radiateur. Et pourtant, je l’aime toujours autant qu’avant: après chaque dîner de famille, je m’y glisse et je ressens une grande sensation de nostalgie. Comme je retrouverais une vieille copine, avec qui j’ai été si complice.

 

Une chambre, quand on est enfant, puis adolescent, ce n’est pas juste une pièce lambda. C’est notre vie, notre jardin secret, le lieu qui accueille nos premières émotions, nos premiers chagrins d’amour et tellement d’autres premières fois. C’est notre bulle d’air.

 

Je regarde ma garde-robe et je m’y revois, enfermée (les enfants sont bizarres parfois). C’était ma cachette à moi, celle dans laquelle j’écrivais mon journal intime, celle où j’ai pleuré quand j’ai compris que Karim ne serait jamais amoureux de moi, celle dans laquelle je cachais les t-shirts volés à ma grande sœur et dans laquelle je m’empiffrais de biscuits, période de boulimie oblige. Je revois les traces de punaises sur les murs, celles qui m’aidaient à épingler mes posters de Jenifer. Je me revois en rage de devoir me coltiner les classes de neige alors que j’avais une place pour aller voir Jeni’ en concert. J’ai envie de dire à l’enfant que j’étais : « Promis, Juju, tu vas t’en remettre ! »

 

Mon miroir me rappelle des chorégraphies enflammées; des périodes de coiffures douteuses (non, vraiment, la frange avec les cheveux bouclés, ça ne va pas), des jugements aussi sur les seins qui poussent, les hanches qui enflent. Ma porte me rappelle toutes les fois où je l’ai claquée, haïssant ma mère d’être si bête, voulant tuer mon père, d’être si con (si vous passez ici, je vous aime). Ces moments où ma petite chambre me semblait être la seule à m’apaiser. Le silence, après les cris (tant bien que le silence s’apparente à un morceau de Linkin Parc ou d’Evanescence).

 

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Cette porte, si nécessaire pour reprendre mes esprits après l’annonce du divorce. Je me revois faire le poirier contre celle-ci, pour mieux “faire la fleur” à la récré du lendemain . Je me revois jouer à la ballerine jusqu’à en avoir les pieds en sang. Vouloir danser, toujours danser plus. Je me dis qu’adulte, on oublie trop souvent de danser.

 

Dans mes tiroirs, je retrouve les lettres que l’on s’envoyait avec les copines, avec les premiers amoureux. Ces effluves de sentiments, ces disputes que l’on vivait comme des coupures à vif. Je lis ces promesses que l’on se faisait, de s’aimer « jusqu’aux étoiles », pour la vie. On ne savait pas encore à quel point la vie serait longue et les étoiles lointaines. Peu importe que les promesses aient été tenues : le plus beau, c’est qu’on y croyait dur comme fer. Et que certaines de nos intuitions — « tu seras ma BFF pour la vie » — ont plutôt l’air de se vérifier aujourd’hui.

 

Je m’assieds sur mon lit et me revois y passer des nuits au téléphone avec celui que je pensais être l’homme de ma vie. S’endormir chacun au bout du fil, se réveiller ensemble au bout du fil et puis se faire engueuler par maman à cause de la facture de téléphone. C’était le prix du romantisme, maman.

 

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Ce lit, je m’y revois en boule, l’oreiller trempé. Ma maman me berçant comme si j’avais 5 ans. J’en avais 18 et je venais de me séparer de celui dont je pensais qu’il était l’homme de ma vie. J’ai envie de dire à cette boule de chagrin que “Vraiment Juju, c’est la meilleure chose qui te soit arrivée”.

 

Je feuillette les classeurs dans lesquels j’empilais les tests psychos de mes Jeune et jolie, pour mieux me connaître, encore loin de savoir que cette quête continuerait jusqu’à mes 28 ans (au moins) et que mes questionnements deviendraient bien plus complexes que Quel bikini correspond le mieux à ta personnalité? J’y retrouve les magazines (très moches) que je créais sur WordArt, les poèmes que j’écrivais. Je me dis que j’ai réalisé la plupart de mes rêves et que c’est plutôt chouette. J’y retrouve mon journal intime et au fil des pages, je re-découvre la petite fille que j’étais, celle qui se contentait des plaisirs simples: aller au ciné’ avec papa, lire « Titeuf » dans le jardin, recevoir le single « Elle est à toi » d’Assia, faire de la luge et inventer des chansons avec les copines. Et qui avait l’humour facile : « Aujourd’hui, on a eu une nouvelle maîtresse : elle s’appelle Françoise. Mais nous, on l’appelle framboise ». Oui, relire son journal intime, c’est aussi constater que — ouf — notre humour comme notre coiffure se sont un peu améliorés.

 

Se balader dans sa chambre d’enfant, c’est reconnecter avec ce que l’on est au plus profond de soi. Céline Dion l’avait dit bien avant moi : on ne change pas, on met juste les costumes d’autres sur soi. Celle qu’on était petite, ce qu’on faisait pour occuper nos longues journées de vacances d’été, ce qui nous a fait pleurer dans notre cachette secrète, sont évocateurs de ce qui nous rend heureux aujourd’hui. Ils disent tout de nous.

 

 

 

 

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