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INTERVIEW: pourquoi Gaëlle van Rosen a créé Fifty Shades of Racism

La rédaction

Gaëlle van Rosen, 29 ans, blogueuse et maman de 2 enfants a été victime d’une agression à caractère raciste. Pour ne pas rester dans le silence, elle a créé Fifty Shades of Racism, un mouvement fort via lequel elle donne la parole à toutes les personnes victimes de racisme. Elle nous a expliqué son projet.

Quel a été le moment fondateur de ton mouvement?


J’étais invitée au Calypso à Knokke à un événement par la marque Cyroc, la marque de Puff Daddy qui est Noir, c’est important de le préciser. Un ami à moi a renversé son verre sur lui. Quand il est parti s’éponger, j’ai réalisé qu’une tasse s’était cassée en tombant et je me suis accroupie pour ramasser les morceaux. Un grand monsieur, le patron, est arrivé en me hurlant dessus. Un témoin s’est proposé pour ramasser à ma place et m’a conseillé de rejoindre mes amis. À ce moment-là, la patronne est arrivée et m’a tiré par le bras. « T’as cassé quelque chose, tu sors tout de suite » m’a-t-elle ordonné. Je lui explique la situation. Elle a demandé à un garde de me mettre dehors. On m’a traînée de force, avec violence, en m’humiliant comme je n’ai jamais été humiliée de toute ma vie. On m’a dit « retourne en Afrique ». Personne autour n’a réagi. Ne voyant aucun secours autour de moi et étant victime d’une agression physique et raciste, je dégaine mon téléphone pour avoir des preuves. La patronne m’a sauté dessus pour l’attraper, me laissant un hématome conséquent. Le patron, lui, est revenu à la charge hyper violemment et tape sur ma main. Je n’ai publié qu’une petite partie des preuves, j’en garde pour les procédures et sur un  enregistrement des enregistrements supplémentaires  on m’entend dire “ ne me faites pas mal. On me dit “Go away to Africa” pour une énième fois ( la deuxième fois c’est une dame que le patron tient affectueusement par le dos qui le dit). Les patrons ne sont pas excusés et démentent mes propos aujourd’hui alors que j’ai des preuves.

Suite à cette agression, on m’a dit que ça ne servait à rien d’en parler, que c’était inutile de porter plainte, qu’on obtenait jamais justice en cas de racisme. J’ai décidé de sortir du silence, de montrer que je n’étais pas un cas isolé, un fait divers.

Tu as donc décidé de créer Fifty Shades of Racism. En quoi consiste ton projet?


Je vis le racisme depuis que je suis toute petite. Mais je ne suis pas la seule. J’ai voulu donner de la visibilité à toutes les personnes qui le subissent au quotidien. J’ai recueilli plus de trente témoignages de personnes belges, de personnes d’origines arabe, asiatique, afro-descendante. Parce que je voulais montrer qu’il y a plein de nuance de racisme. Ça va de la petite réflexion anodine, soi-disant drôle, jusqu’au crime de haine raciale. Sur les réseaux sociaux, je poste un témoignage sous forme de vidéo tous les deux jours. On va aussi lancer un site web parce qu’il y a énormément de retours sur chaque sujet et que les gens demandent à s’exprimer.

On y retrouve quel genre de témoignages?


Une jeune femme arabe, qu’un enfant a appelée « terroriste » parce qu’il l’a entendu de la bouche de son père. Il y a John par exemple. Un garçon extrêmement doux, très gentil. On lui a refusé l’entrée à son bal de rhéto. Il s’y était préparé, avait réfléchi pendant des mois. C’est un tel événement quand on a 17-18 ans. Quand les portiers lui ont dit « toi, tu ne rentres pas », il est resté sur le parking de la friterie tout seul, pendant que ses amis faisaient la fête. Ça pose aussi la question des témoins. Comment faut-il réagir ? D’après moi, ça aurait si beau que ses amis s’interposent et prennent sa défense. Chaque témoignage, du plus léger au plus difficile, amène une question et permet de conscientiser. J’ai également tenu à donner la parole à des gens issus de toutes les origines pour casser les stéréotypes. Il y a plein de nuances de racisme. Je suis afro-descendante et je ne peux pas prendre la parole à la place d’une personne qui porte le voile par exemple. Nous n’avons pas la même expérience et il est important pour moi de donner la parole à un maximum de personnes. Le seul moyen de briser les clichés est d’aller à la rencontre de l’individu en face de soi.

Qu’attends-tu comme retour suite à la création de ton mouvement?


Le message principal de Fifty Shades of Racism est qu’on est tellement nombreux à apprécier vivre dans notre société multiculturelle qu’il faut qu’on se mobilise ensemble pour la protéger. Ce n’est pas en restant dans son salon et en disant « c’est pas cool le racisme » que les choses vont bouger. Il faut qu’on unisse nos voix, qu’on sorte du silence ensemble. Que toutes les personnes positives de cette société se mobilisent contre le racisme. La première étape, c’est de sortir du silence pour que chacun réalise l’ampleur du problème. Ensuite, en s’unissant, on pourra faire évoluer la loi et pénaliser les insultes racistes.

En créant un projet d’une telle envergure sur un sujet polémique, t’exposes-tu encore plus au racisme?


En sortant du silence, je suis devenue une cible de paroles racistes, de mails racistes, des racistes tout court. Et je ne suis pas la seule. Une dame a laissé un commentaire raciste sous ma vidéo témoignage. En cliquant sur son profil, j’ai vu qu’elle partageait des vidéos dans lesquelles on abat des Noirs. Je reçois quotidiennement des messages aux propos extrêmes dans ce genre-là. C’est vrai que c’est effrayant de sortir du silence. Encore plus quand on est sensible comme moi. Mais c’est trop important, c’est plus important. Je crois que je dois repousser mes limites pour ce projet. Et je ne regrette en aucun cas d’avoir osé parler.

Tu es fière de ce projet aujourd’hui?


Je ne peux pas dire que je suis dans un sentiment de fierté actuellement. Je serai fière le jour où la loi pénalisera les propos de raciste. Je serai fière le jour où un enfant qui est victime de racisme ne se sentira pas isolé. Je serai fière si j’arrive à conscientiser certaines personnes. C’est mon but et j’y crois.

Retrouvez Fifty Shades of Racism sur Facebook et sur Instagram.

Pour voir la vidéo du témoignage de Gaëlle et de 13 autres femmes, rendez-vous ici.

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