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J’avais 10 ans. Ce que l’affaire Dutroux a changé en moi

Barbara Wesoly
17 août 1996. Après 420 jours d’espoir terrible et d’attente désespérée, la Belgique s’éveille, égarée et en pleurs. Les corps de Julie et Melissa viennent d’être découverts. Je rentre en 5ème primaire.


 

Il y a les images qui ont rejoint l’histoire. Marc Dutroux et Michelle Martin, menottés et hués par la foule. Les larmes des familles. Les enterrements qui se succèdent. Ces minuscules cercueils. La cache derrière l’armoire, sale, obscure et terrifiante. Les ballons qui s’envolent à la Marche Blanche.

Et puis, il y a les cauchemars solitaires des enfants que nous étions. Ceux qui ont grandi en se sentant chanceux d’être là. De ne pas s’être baladés à vélo, une après-midi d’été de juin 95. De ne pas avoir croisé la mauvaise camionnette blanche.


 

Le début


Mon premier souvenir sent la mer et les vacances en famille. Je me revois, sautillant fièrement en allant chercher un pain à l’épicerie sur le trottoir en face de notre appartement. Comme une grande. Elles sont placardées sur la vitre à l’extérieur du magasin. Deux affiches en noir et blanc. Deux petites filles souriantes, disparues près de chez elles, à Grâce-Hollogne. Après cela, il y aura toujours ma mère ou mon père posté à la fenêtre, pour me regarder parcourir ce petit chemin. L’habitude a cessé d’être une garantie de sûreté. La proximité aussi.

 

La fin


Des immenses panneaux bordent la route en face de ma chambre. Leurs visages me sont devenus familiers. J’ai mémorisé le numéro d’urgence de l’affiche. Les mois passent. Il fait de nouveau chaud. C’est un samedi de brocante avec mes parents. Les visages se ferment, les gens murmurent. Ils les ont retrouvées. Je reste hypnotisée devant les images à la télévision. Fascinée et hébétée. Des semaines durant, elles défilent en boucle.

Avec ma meilleure amie de l’époque, on rejoue l’horreur. Nos Barbies appellent à l’aide derrière les murs de cette prison cachée. C’est la réponse maladroite de deux petites filles face à la peur. À l’angoisse du noir, de la solitude et du danger invisible.

 

L’après


Je ne prends pas le tram pour rejoindre l’école primaire. Je ne le prendrai pas jusqu’à mes 15 ans. Le risque est là. Partout. Les années passent. L’affaire Dutroux rejoint la mémoire collective. Mais la crainte reste, latente. Dans ces fins d’après-midi hivernales et trop sombres où il faut attendre papa et maman devant le collège. Dans ces regards d’inconnus qui ne semblent jamais anodins. Tapie dans ces voitures qui ouvrent leur vitre pour demander la route. Rester sur le qui-vive. Toujours prête à courir. S’imaginer hurler et se demander si on saura le faire assez fort que pour alerter les passants.

Demain


J’ai 30 ans aujourd’hui et un enfant de deux ans. En apprenant que ce serait un garçon, je me suis sentie honteusement soulagée. Ma première pensée a été qu’il serait plus à l’abri. Qu’il courrait moins de risques. Je sais qu’il apprendra Julie et Melissa, et toutes les autres. Je sais que cela lui semblera sûrement très loin. Je sais que je me ferai violence pour le laisser jouer dehors avec ses copains, aller à pied jusque chez eux. Avoir cette enfance de joyeuse autonomie pleine d’insouciance, privilège des enfants qui grandissent à la campagne. Je sais aussi que je serai toujours quelques pas en arrière. Là où il ne pourra pas me voir. Pour rassurer cette part de moi qui rentrait en 5ème primaire.

 

L’affaire Dutroux a fait six petites victimes. Et une génération d’adultes hantés. La nôtre.

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