Pendant des années, Dominique Pelicot a drogué son épouse, Gisèle Pelicot, à son insu et invité plus d’une cinquantaine d’hommes à la violer alors qu’elle était inconsciente. Des photos de sa fille, Caroline Darian, ont aussi été retrouvées sur l’ordinateur du criminel, condamné à la peine maximale lors de l’un des procès les plus médiatisés de l’Histoire.
Sur ces clichés, Caroline est inconsciente et porte des sous-vêtements qui ne lui appartiennent pas. Si la justice n’a pas pu offrir de réponses à Caroline, elle est certaine d’avoir, elle aussi, été victime de soumission chimique.
Alors, plutôt que de subir son histoire familiale, Caroline, justicière dans l’âme, a décidé d’en faire son combat. Avec son association, M’endors pas, mais aussi au travers de ses 2 ouvrages (Et j’ai cessé de t’appeler papa et Pour que l’on se souvienne, éd. JC Lattès), elle vise à informer des dangers de ce phénomène qui consiste à droguer une personne à son insu à des fins criminelles, souvent sexuelles.
Elle se confie auprès de Flair.
Caroline, comment allez-vous?
« Je vais parce que je me bats. Je me bats pour la vérité, je me bats pour ma reconstruction et je me bats aussi pour d’autres victimes comme moi. Je ne peux pas dire que je vais bien, mais je vais. »
Avez-vous l’espoir de pouvoir le dire un jour? « Je vais bien. »
« Je pense, oui. Un jour, tout ça sera définitivement derrière moi. Mais, pour l’instant, je suis encore en phase de réparation. Je n’ai pas du tout digéré. Bien sûr, grâce à mon fils, mon mari, mes amis, j’arrive à profiter de la vie, mais je me fais régulièrement rattraper par le combat judiciaire. Tant que tout ne sera pas résolu, ce sera difficile pour moi d’avancer. Je suis suspendue au travail de la justice. C’est un travail lent et pas toujours efficient. Prenons l’exemple de mon neveu, Nathan, qui a porté plainte pour agressions sexuelles contre son grand-père. Sa plainte a été classée sans suite, faute de preuves matérielles. C’est compliqué, mais il faut rester lucide: la justice ne peut pas toujours apporter de réponses aux victimes, ni même les aider à se réparer. »
« L’enfer, c’est de ne pas savoir ce qui s’est passé »
Votre géniteur dément vous avoir agressée sexuellement, bien qu’il existe des clichés sur lesquels on vous aperçoit inanimée dans des sous-vêtements qui ne vous appartiennent pas. Le plus douloureux, c’est de ne pas savoir?
« Oui. L’enfer, c’est de ne pas savoir ce qui s’est passé. J’ai des fragments d’informations, mais je ne connais pas toute la vérité. C’est difficile de se reconstruire quand on pense constamment à ce qui a pu arriver. Il y a, au minimum, eu attouchement. Ces photos sont tellement suggestives. C’est évident que je ne dors pas sur ces photos, mais que j’ai été droguée. »
Nous avons décidé, ma mère et moi, de ne pas rester en contact pour le moment car nous sommes dans l’incapacité de nous comprendre »
Votre mère, Gisèle Pelicot, ne vous a pas défendue sur ce point. Quelles sont vos relations aujourd’hui?
« Nous avons décidé, ma mère et moi, de ne pas rester en contact pour le moment car nous sommes dans l’incapacité de nous comprendre. C’était très violent, pendant le procès, de constater qu’elle n’était pas capable de m’entendre, de me soutenir. J’ai eu l’impression qu’elle me lâchait la main. C’est douloureux, ça me fait de la peine, mais il n’y a pas de colère, de haine ou de rancoeur. À un moment donné, il faut pouvoir accepter qu’elle ne puisse pas m’aider. Il y a un tas de raisons qui peuvent l’expliquer. Ce qu’elle a vécu est dramatique. Chacun doit gérer cette affaire à sa manière. Le principal, c’est que ma mère soit en bonne santé, entourée et qu’elle continue à avoir une belle vie. Je sais que ça dérange certaines personnes de voir notre famille brisée, mais nous faisons, chacune, ce que nous pouvons pour nous en sortir. On ne peut pas nous demander de surmonter l’insurmontable. Je suis à la fois la fille du bourreau et celle de la victime. Je ne peux pas attendre de ma mère de prendre en charge ma peine et mes doutes, même si je suis moi aussi une victime. La seule personne aujourd’hui qui mérite ma haine et mon mépris, c’est Dominique Pelicot. »
Avez-vous peur d’être réduite à être ‘la fille de’ pour toujours?
« J’essaie de me dire que ma vie n’est pas réduite à cette affaire. En créant mon association (M’endors pas: stop à la soumission chimique, ndlr), j’ai décidé de ne pas subir, mais d’entreprendre. De porter ce sujet dans l’espace public. Ce qui me fait du bien, c’est de voir le retentissement de cette action au sein de la société alors que je suis partie de nulle part. Il y a 4 ans, personne ne parlait de soumission chimique. Aujourd’hui, on travaille sur un kit de prélèvement qui pourrait être disponible en pharmacie et qui permettrait aux victimes de prélever des substances dans l’organisme dans les meilleurs délais, à titre gratuit. C’est une vraie avancée. »
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Ayant été confrontée à la soumission chimique, avez-vous peur aujourd’hui de prendre des médicaments?
« J’en prends très peu, le moins possible. Quand nous avons découvert les faits, on m’a mise sous antidépresseurs. Et lorsqu’a débuté le procès, j’ai décidé d’arrêter. J’avais peur de la béquille chimique. Je fais un rejet, mais c’est assez inconscient. J’y réfléchis parce que vous me posez la question. Le pire, c’est s’il faut m’opérer sous anesthésie générale. Parce que là, de nouveau, les circuits sont coupés, c’est le trou noir. Et l’année dernière, justement, j’ai dû me faire opérer pour un problème rénal. Je n’étais vraiment pas bien au moment où il a fallu m’endormir. Quand je me suis réveillée, j’étais en pleurs. Les médecins étaient embêtés. Ils ne comprenaient pas ce que j’avais. Ils ne savaient pas qui j’étais. Donc, oui, les répercussions existent là aussi. Mais y aller malgré tout, parvenir à gérer mes émotions, c’est aussi une façon de reprendre le contrôle. »
Dans votre deuxième livre, Pour que l’on se souvienne, vous écrivez que votre mère vous a reproché d’avoir écrit le premier, Et j’ai cessé de t’appeler papa, trop tôt. Avec du recul, partagez-vous son avis ou était-ce nécessaire pour vous de raconter votre histoire déjà avant le procès?
« Je ne regrette absolument rien. D’ailleurs, lorsque j’ai écrit mon deuxième livre, je me suis totalement affranchie de ce qu’on pouvait penser. Je n’ai demandé l’avis de personne. L’écriture a été ma bouée de sauvetage. C’est ce qui m’a permis de maintenir la tête hors de l’eau, au moment de la déflagration, pour le premier, et durant le procès, pour le second. C’est ce qui m’a permis de dire au revoir à la petite fille que j’ai été. De mettre un point final à mon histoire familiale. C’est un deuil important à faire. »
Vous écrivez aussi que le crime ne se transmet pas. Avez-vous eu peur d’avoir hérité d’une part de la monstruosité de Dominique Pelicot?
« J’ai toujours détesté le mensonge et la trahison. Mais, bien sûr, je me suis interrogée sur ma part de folie. Je me suis demandé si, moi aussi, un jour, je pourrais me transformer. Et, sur cette question, la découverte des cold cases (Dominique Pelicot a été mis en cause sur une affaire de meurtre et de viol et un autre viol dans les années ‘90, ndlr) m’a ‘rassurée.’ Il a toujours été comme ça. Ce n’est pas comme si, un matin de 2011, il s’était levé en se disant: ‘Tiens, et si je droguais ma femme pour la violer et inviter d’autres hommes à en faire de même?’ Non, ça a toujours fait partie de lui. En fait, l’histoire de ma mère, ce n’est qu’une toute petite partie de l’iceberg. C’est ça qui est effrayant. Combien sont-elles? C’est un puits sans fond. »
Vous racontez aussi votre crainte de voir votre rapport aux hommes, la confiance que vous leur accordez, brisée à tout jamais.
« Contrairement à ce que je pensais au moment où j’ai écrit mon premier livre, cette affaire n’a pas tellement altéré mon rapport aux hommes. Ce qui est sûr, c’est que j’ai développé une sorte d’hypersensibilité, un radar qui me permet d’immédiatement détecter quand quelque chose ne tourne pas rond chez un homme. »
Vous évoquez aussi la culpabilité de ne pas avoir vu ce que Dominique Pelicot faisait subir à votre mère. Vous vous en êtes voulue?
« Je me demande souvent si j’aurais pu empêcher ses crimes. Est-ce que j’aurais pu sauver une partie de ses victimes? Je me demande si, en 1999, alors que j’avais 20 ans, j’aurais pu l’empêcher d’entrer dans l’appartement d’une fille de mon âge et de lui faire vivre 5 heures d’horreur (une jeune agente immobilière a été agressée par l’accusé qui s’est fait passer pour un client voulant visiter un bien. Elle a réussi à se détacher de son emprise et s’est cachée dans un placard fermé à clé pendant plusieurs heures avant de réaliser que l’homme avait pris la fuite. Dominique Pelicot, dont on a retrouvé l’ADN sur la chaussure de la victime, a reconnu les faits, ndlr). C’est une question qui m’obsède, mais aujourd’hui, j’arrive à être plus douce envers moi-même. Ma mère me dit souvent qu’il faut que j’arrête de vouloir faire ma justicière, de vouloir sauver le monde. Mais quand je suis révoltée, je suis révoltée. »
Les 2 ouvrages de Caroline Darian, Et j’ai cessé de t’appeler papa et Pour que l’on se souvienne, sont disponibles aux éd. JC Lattès. Pour vous informer et/ou soutenir le mouvement de prévention et l’association M’endors pas qui lutte contre la soumission chimique, rendez-vous sur mendorspas.org
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