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Témoignage: ““Je travaille avec des pédophiles””

Justine Rossius
Alana, 24 ans, est conseillère en psychologie au Centre médico-légal de l’Université d’Anvers. Elle accompagne des personnes qui ont un problème sexuel, entre autres des personnes à tendance pédophile. Un travail difficile et courageux.

"‘C’est incroyable que vous puissiez vous asseoir à côté d’eux et discuter avec ces gens-là’, ‘Il faudrait tous les pendre!’, ‘Moi, je suis pour la castration’... Voilà le genre de réflexions que j’entends quand je dis aux gens ce que je fais comme travail. Depuis le temps, je me suis habituée au fait que la société les déteste. Nous vivons toujours dans l’ère ‘post-Dutroux’, la Belgique en souffre encore. Donc, je comprends tout à fait que beaucoup de personnes aient une attitude négative envers les délinquants sexuels. Mais je tente tout de même de sensibiliser les gens.

Un délinquant sexuel n’est pas toujours le ‘grand méchant loup’... C’est quelqu’un qui a fait des choses très graves, mais ce n’est pas que cela... C’est un être humain, pas un monstre.

Transformer ces gens en monstres est une façon de se protéger, un mur derrière lequel on se retranche en se disant: ‘Ça ne peut pas m’arriver à moi’. Vous seriez surpris de savoir combien de bons pères de famille sont venus nous consulter... Un homme peut avoir abusé d’un enfant et être un excellent père pour les siens. Ses enfants, il serait incapable de leur faire du mal... Je reçois souvent en consultation des gens qui ont fait énormément de choses pour la société, qui sont membres d’une association, qui sont aimés... Bref, des gens avec lesquels nous sommes en contact, tous les jours. Et puis, il y a tout un enchevêtrement de facteurs qui pousse les gens à adopter un comportement criminel: les délinquants sexuels peuvent avoir eux-mêmes été abusés pendant leur enfance...

Quand ils commettent leurs actes, beaucoup s’en veulent énormément. Un jour, l’un d’eux m’a dit qu’il préfèrerait se pendre plutôt que de recommencer. Ils ne sont pas tous comme Dutroux...

Des cas comme lui, on n’en voit pas beaucoup ici, heureusement !”

 

Œil pour œil, dent pour dent?

“Je ne condamne jamais la personne, je condamne ses actes. Les délinquants sexuels sont souvent montrés du doigt: je ne pense pas que ce soit la bonne façon de fonctionner avec eux. Je ne prétends pas vouloir leur éviter des peines de prison, mais je pense qu’ils ont besoin d’un traitement. Si un homme a violé un enfant, qu’il passe au tribunal et purge sa peine sans aucun suivi, qu’aura-t-il appris ? Rien.

C’est pour ça que j’ai choisi délibérément de travailler avec ces délinquants: je veux empêcher qu’ils ne fassent davantage de victimes. Et donc tenter de comprendre comment ils en sont arrivés là.

Pourquoi ont-ils violé un enfant? Qu’est-ce qui a précédé ce passage à l’acte? Qu’est-ce qui est arrivé dans leur passé? Mon travail à moi, c’est de leur permettre de reconstruire le fil de leur propre histoire. Souvent, pendant la thérapie, des choses remontent à la surface, dont le patient n’avait absolument pas conscience jusque-là. Cela arrive au cours du traitement et dans ce cas, je peux apprendre à mon patient à mieux gérer ses pensées et ses émotions.”

 

Pas besoin de sonnette d’alarme

“Je ne me suis jamais sentie mal à l’aise avec un patient: je n’ai jamais eu peur d’être attaquée, par exemple. Pendant mes consultations à l’hôpital, je suis seule avec le patient, dans un petit bureau. Il n’y a aucune sécurité particulière, sauf un bouton d’urgence sur lequel je peux appuyer en cas de danger. Mais à ma connaissance, personne dans le service n’a jamais eu à appuyer sur ce bouton. Nous sommes un centre de traitement ambulatoire: les gens qui viennent nous consulter sont libres. Ils ont leur propre maison ou vivent avec leur famille. Certains d’entre eux viennent volontairement, d’autres sont obligés de suivre un traitement à cause leurs comportements sexuels.”

 

Tout le monde peut changer

“Quand je rentre chez moi, j’essaie de me déconnecter. C’est une des conditions pour que je reste une bonne travailleuse sociale: être capable de laisser toutes ces histoires derrière moi quand j’arrête de travailler. Quand une de ces histoires me colle trop à la peau, j’en parle avec mes collègues, ça me permet de prendre un peu de distance. Parfois, j’entends des histoires très difficiles, mais je reste persuadée que tout le monde peut changer. Je ne joue pas un rôle quand je suis en thérapie: j’essaie toujours d’être le plus empathique possible.  Je me contente d’écouter l’histoire et de réfléchir à ce qu’on peut mettre en place pour aider le patient.

Ce que je ressens quand je pense que j’ai un violeur d’enfants en face de moi? Je ne permets jamais à mes sentiments de prendre le dessus. Bien sûr que ce qu’ils ont fait me touche énormément...

Mais je dois mettre de côté mes ressentis pendant le temps de la thérapie. Nous devons aider les patients à affronter leurs problèmes et offrir les outils nécessaires pour qu’ils ne reproduisent plus les mêmes schémas par la suite. Je ne fais donc pas que traiter le délinquant: je protège aussi les victimes potentielles. C’est pour ça que je fais ce boulot, et c’est pour ça que je continuerai à le faire.”

 
Par Sarah D’Haese, avec nos remerciements à Liesbeth Lauwers. Photos Filip Naudts. Adaptation Julie Rouffiange.

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